Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/214

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tradition que les hommes habitent, après leur mort, dans le corps des bêtes. La princesse du Caire faisait mettre à sac les poulaillers, emporter la vaisselle d’étain des hôtelleries, creuser les silos pour prendre le grain. Dans les villages d’où on les chassait, les hommes revenaient, par son ordre, la nuit, jeter la « droue » dans les mangeoires, et dans les puits des paquets noués avec du « drap linge » gros comme le poing, pour empoisonner l’eau.

Après cette confession, les examinateurs, tenant conseil, furent d’avis que la princesse du Caire était « très forte larronnesse et meurtrière et qu’elle avait bien desservi d’être à mort mise ; et à ce la condamna le lieutenant de monseigneur le prévôt ; et que ce fût en la coutume du royaume, à savoir qu’elle fût enfouie vive dans une fosse. » Le cas de sorcellerie était réservé pour l’interrogatoire du lendemain, devant être suivi, s’il y avait lieu, d’un nouveau jugement.

Mais une lettre de Jehan Mautainct au lieutenant-criminel, copiée dans le registre, apprend qu’il se passa dans la nuit d’horribles choses. Les deux examinateurs que la princesse du Caire avait touchés se réveillèrent au milieu de l’obscurité, le cœur percé de douleurs lancinantes ; jusqu’à l’aube ils se tordirent dans leurs lits, et, au petit jour gris, les serviteurs de la maison les trouvèrent pâles, blottis dans l’encoignure des murailles, avec la figure contractée par de grandes rides.