Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/227

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volontiers, d’une voix cassée, l’histoire de la fin.

« C’était un terrible homme que ce Cartouche, disait-il. Le jour, il avait une grosse figure blême ; il était superbement mis, et portait toujours un bel habit gris-blanc, à boutons d’argent, avec une épée à fourreau de satin. Mais la nuit, en chasse, il était petit, noiraud, souple comme un furet, méchant comme une gale. C’est lui qui a refroidi Jean Lefèvre, une mouche qui l’avait dénoncé ; il lui a coupé le nez et le cou, ouvert le ventre et tiré les tripes. Charlot le Chanteur a eu une mauvaise idée : il a attaché dessus une carte très bien écrite, avec ces mots : ‹ Ci gît Jean Rebâti, qui a eu le traitement qu’il méritait : ceux qui en feront autant que lui peuvent attendre le même sort. › Après cela, rien n’a plus marché. Auparavant, on rôdait toute la sorgue, avec la figure passée à la suie ; Balagny et Limousin barbotaient les gens trop riches, — et ceux qui criaient on les débarbouillait à l’eau-forte. Mais depuis qu’on eût rebâti cette mouche, il fallait passer à l’aveuglette de tapis en tapis ; ce n’était pas facile ; Cartouche était galant : Mme Bourguignon en sait quelque chose. Il avait toujours au moins deux dames, une à chaque bras, avec de belles robes de damas. Ceci était gênant ; il fallait les faire boire : et tous les cabaretiers nous remouchaient. Ensuite Du Châtelet, qui était aux gardes-françaises, s’est fait arquepincer. Nous étions fort bien, lui et moi ; c’était un garçon de qualité ;