Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/231

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« La nuit arriva, et Savard nous monta du rhum. Les petites vitres encastrées de plomb tintaient sous la pluie, et les rafales sifflaient dans les jointures des portes. Charlot le Chanteur se roula dans son manteau et se fourra dans le lit. Balagny et Limousin buvaient chopine près de la cheminée : Cartouche cessa de baiser sa Chevalière et se tourna vers eux : ‹ Ho ! les amis, dit-il, que faisons-nous ? Ces diables n’oseront venir nous prendre ici.

« — Ma foi, capistan, répondirent les autres, à toi le soin. Nous boirons du pive, en attendant. ›

« Là-dessus, Savard fit monter Ferrond, le bras droit de Cartouche. Celui-là dit posément que Du Châtelet menait une troupe en habits gris, avec les sergents de Bernac, la Palme et Languedoc — mais qu’ils ne seraient pas rendus avant onze heures du matin. Nous étions environ huit heures et demie. Le jour d’hiver était encore bas.

« ‹ Bien, dit Cartouche, cette fois-ci c’est sérieux. Ferrond, tu vas descendre gaffer dans la rue Blanche : Balagny et Limousin, vous êtes saouls — vous ne seriez bons à rien ; restez boire chopine au coin du feu et préparez vos jambes. ›

« Puis, se tournant vers moi et mettant le bras autour de la taille de sa maîtresse :

« ‹ Petit Gascon, dit Cartouche, Petit Chevalier, je vous connais pour noble et généreux ; voici la Chevalière, que je vous confie ; s’il vous plaît, ayez-en grand soin — et souvenez-vous de me la rendre