Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/238

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

donnèrent à ma jolie ravaudeuse le nom de Fanchon-la-Poupée. Elle était mignarde et remplie d’afféterie, et semblait m’aimer autant que chose qui fût au monde. Mais une poursuite me donna bien du tourment. Nous ne pouvions sortir sans être escortés à quelques pas en arrière par un garde-national maigre, haut, avec un terrible nez en bec d’aigle. C’était La Tulipe. Tantôt cet homme nous considérait en ricanant, quand il était à jeun ; tantôt il se précipitait vers nous en jurant, s’il avait bu. Souvent Fanchon revenait tremblante de chez une amie et me disait, sa jolie figure bouleversée, qu’elle venait d’être pourchassée en pleine rue par La Tulipe, brandissant un long couteau. D’autres fois, il nous guettait dans les cabarets des coins de rue, attablé avec des gens de mauvaise mine. La nuit, Fanchonnette se réveillait de frayeur en criant : il n’était pas méchant, disait-elle, mais il voulait lui donner un mauvais coup, parce qu’elle l’avait quitté. Hélas ! serait-elle donc poursuivie à jamais ? — Quelques années auparavant, j’eusse pu facilement me débarrasser de cet homme ; aujourd’hui, il était plutôt mon maître que je n’étais le sien.

Cependant l’argent que je donnais à Fanchon-la-Poupée disparaissait rapidement. Elle ne faisait pas de dépenses exagérées, mais le milieu du mois la trouvait à court, et la fin du mois la surprenait m’implorant.

« Malheureuse que je suis, pleurait la jolie ravaudeuse,