Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/239

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comment voulez-vous, monsieur, que j’arrive avec ce que vous me donnez ; j’étais plus tranquille et plus gaie, l’aiguille à la main ! » Puis, se reprenant : « Ah ! que deviendrais-je si vous m’abandonniez ! Il faudrait céder à l’horrible La Tulipe, et ce monstre me tuerait. » Ces larmes m’effrayaient et me faisaient pitié ; je pleurais avec la pauvre Fanchon.

Comme je revenais un soir de la comédie, j’entrebâillai, avant de me mettre au lit, la porte de ma cuisine. Un léger filet de lumière fuyait le long du seuil, et il me semblait entendre un bruit de voix. Par l’ouverture, j’aperçus le dos bleu et les revers rouges d’un garde-national assis sur la table ; ses jambes se balançaient ; et, lorsqu’il tourna la tête vers la chandelle, je reconnus la figure basanée et décharnée de La Tulipe. Il fumait une pipe de terre blanche et buvait du vin à même le pot. Fanchon-la-Poupée, ma jolie ravaudeuse, debout devant lui les mains croisées, le regardait en souriant, les joues rouges et l’œil excité.

J’appuyai l’oreille au chambranle, et voici ce que j’entendis. Le garde-national disait, après avoir tiré l’oreille au cruchon :

« Fanchon, ton vin est bon ; mon pot est vide. Pense à ce que j’ai dit. Il me faut de l’argent demain ; M. le marquis en donnera, ou nous lui parlerons des autorités. » Le drôle était ivre. « Allons, Fanchon, un pas de deux, je t’enlève comme une plume. Je veux