Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/245

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de M. Foutreau s’écrie : « Quinze coups gras à Monsieur ! — Quatre coups maigres à Monsieur ! » Et après cette punition, qu’il fixe comme il l’entend : « Honneur à Monsieur Foutreau, et en avant le jeu ! » J’ai su depuis que le foutreau se jouait dans la clique à Cartouche. Podêr y était merveilleusement fort. Les bandes de garçons de cambrousse qui partent à la détrousse des paysans lui avaient donné une solide éducation.

Souvent il s’arrêtait de jouer et songeait un instant ; il murmurait : « Quand la petite sera sortie de condice » ; puis, se reprenant : « Honneur à Monsieur Foutreau, et en avant le jeu ! »

C’était son rêve, cette roulotte. Le bonheur à deux par la nuit noire, dans la campagne, sous la bâche frissonnante, avec une petite femme qu’on tient serrée contre soi. Sans compter qu’on peut gagner dans la partie. Un soir, au camp, il me tira les pieds sous la tente ; il était terriblement saoul.

« La petite est arrivée, me dit-il en hoquetant ; elle est dans la turne de la mère Legras : veux-tu venir la voir ? »

Le cabaret avait un plancher de terre battue ; deux petits cochons y grouillaient ; on tirait le cidre mousseux à même le tonneau. Dans l’âtre, accroupie, était une petite Bretonne aux pommettes saillantes, aux cheveux mêlés, à la taille courte ; elle leva timidement sur moi ses grands yeux noirs.

« T’es encore bu, Jean-François, dit-elle, en l’entourant de ses bras — méchant ! »