Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/246

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Et Podêr alors lui marmotta des paroles tout bas, et s’assit près d’elle. Moi, je buvais du cidre dans les bols de faïence peinte, en regardant les cochons et la mère Legras.

Quand nous sortîmes sous les étoiles, Podêr me disait : « Elle est gironde, la petite, hein ? Mais je n’ose pas ; elle va retourner au château : c’est pas encore le moment de se tirer. Nous aurons une roulotte, tout de même. » Et le long de la route, au clair de la lune qui découpait par les haies de grandes plaques d’ombre sur la poussière blanche, Podêr me parlait de la petite et de la vie qu’ils auraient ! — Et fini de rouler sa bosse — et on aura un chez soi dans sa bagnole — c’est-y-pas vrai ?

Le lendemain soir, à l’appel, mon ami Podêr était parti en bombe. Après, il entra en prison. Je le vis quelques jours, le balai à la main, le calot sur l’oreille, derrière la brouette. Il fit la marche forcée, avec paquetage sur le dos, du camp jusqu’au quartier.

Et puis, un soir, je me réveille dans mon lit, la lueur d’une chandelle sur le nez. Dans le rond de la lumière je vois la figure de Podêr, marbrée de taches rouges avec deux yeux luisants.

« Donne-moi cent sous, bleu, veux-tu ? me soufflait-il. Nous nous tirons avec la petite. »

Machinalement je passai la main sous mon fantassin et je lui tendis la pièce. Puis, me retournant, j’entendis les pas de Podêr, descendant doucement