Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/251

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traversions les longs corridors entre les murailles des champs, et les étroites ruelles du village ; les pâles filles encapuchonnées nous épiaient à la dérobée ; des chiens silencieux levaient vers nous leur museau quêteur.

Elle me racontait comment elle avait voyagé, depuis qu’elle se souvenait, sur la terre bretonne, d’abord avec sa mère, ensuite avec un vieux à paupières éraillées. Elle avait campé avec les gueux dans le champ des Martyrs, du côté de Sainte-Anne-d’Auray. Il y en avait beaucoup qui vendaient des chapelets et des médailles de la Vierge. Ils parlaient entre eux une langue inconnue et se battaient le soir, autour de la marmite, et pour coucher dans les foins. Le vieux, ayant trouvé une petite voiture et deux chiens attelés à un collier pour la traîner, l’avait quittée pour aller mendier avec sa besace et son gourdin vers Karnak et Plouharnel, où viennent les riches étrangers. Des Anglais qui voyageaient dans une grande voiture, pareille aux guimbardes des saltimbanques, l’avaient nourrie quelques jours, jusqu’à Saint-Gildas-de-Ruys. Après, elle avait vagué par les chemins : les gars et garçailles se moquaient d’elle, à cause de ses taches de rousseur. Un jour, on lui avait dit qu’elle trouverait un promis aux noces d’Arz, mais qu’il faudrait prendre garde. Dans l’île d’Arz, il n’y a que des filles : celle qu’on veut épouser, il faut lui faire manger sept cormes avant quelles soient mûres, — et la fille se mue en garçon.