Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/252

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Alors je lui dis qu’à l’île d’Arz on rirait d’elle et que les jeunes filles n’allaient qu’avec celles de l’île aux Moines. Mais elle secoua la tête.

Nous dévalions vers la plage ; les bateaux se balançaient, bercés par les lames, et on entendait résonner des rires, comme des ricochets sur l’eau. Étendu sur la grève, un zouave attendait le passeur ; il était jeune, souple et imberbe ; justement de retour à Auray, avec un congé de trois mois, il était arrivé trop tard pour l’assemblée d’Arz — toutes les filles étaient parties, et voici que déjà les bateaux revenaient. Une barque atterrit près de nous ; une belle blonde en corsage rouge descendit tout essoufflée, avec sa compagnie ; le zouave se releva lentement et la regarda en soupirant. D’un coup de main il fit bouger son pantalon et épousseta ses guêtres, guigna ma petite amie du coin de l’œil, et embarqua. Elle sauta si vite dans le canot que je n’eus pas le temps de lui rendre le ballot qui pendait à mon sabre. Je la hélai près du flot ; mais la brise qui enflait la voile emporta mes cris. Je la vis encore longtemps ; elle reposait ses pieds fatigués sur une banquette et le zouave avait étendu sa veste bleue à fleurs pourpres sur ses mollets nus.

Dans l’île d’Arz le soleil couchant bordait les moulins d’une ligne rouge. Les bateaux rentraient un à un ramenant les filles lassées ; je suivais toujours des yeux ma voile blanche. Je vis deux points monter lentement sur la plage grisâtre de la crique ; sans