Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/284

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Dans le pays on craignait les carriers. C’étaient des hommes mystérieux qui creusaient, masqués, dans la terre rouge pendant le jour et une partie de la nuit. Les entrepreneurs gageaient ce qui leur arrivait — généralement des repris de justice, des terrassiers ou des puisatiers qui variaient leur travail en luttant dans les foires, des hercules falots en carnaval forcé. Les mioches édentés qui venaient piétiner dans les retroussis de terres volaient les poules et saignaient les cochons. Les rôdeuses de grand’route fuyaient le long de la carrière ; sans quoi les masques leur roulaient la tête dans les brousses et leur barbouillaient le ventre de terre mouillée.

Mais les deux cheminots s’approchèrent du trou illuminé, cherchant la soupe et le gîte. Devant eux un môme balançait sa lanterne en chantant.

L’homme au loup s’appuya sur sa pioche et releva la tête. On ne voyait de sa figure que le menton luisant à la lumière ; une tache noire bouchait le reste. Il claqua de la langue et dit :

« Ben quoi, le trimard, ça boulotte ? Quand on est deux, comme ça, on n’a pas froid au ventre. N’en faudrait, pour la tierce, des poules comme la tienne. On a de la misère, nous autres — ça serait assez rupin. »

Les hommes se mirent à crier : « Ohé, Nini, lâche ton mari. Ohé, ohé, viens te coucher. — T’es rien leste, Ernest, à enlever le reste. T’es bien pressé