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Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/29

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« C’était une striga, je n’en doute pas ; et si elle m’avait aperçu, elle m’aurait peut-être paralysé avec son mauvais œil. Il y a des gens qui sortent, la nuit, qui se sentent parcourus de souffles ; ils tirent leur épée, font le moulinet, se battent contre des ombres. Le matin, ils sont couverts de meurtrissures et la langue leur pend au coin de la bouche. Ils ont rencontré les striges. J’ai vu des hommes forts comme des bœufs et même des loups-garous qu’elles mettaient à mal.

« Ces choses sont vraies, je vous les affirme. D’ailleurs ce sont des faits reconnus. Je n’en parlerais pas et je pourrais en douter s’il ne m’était arrivé une aventure qui me fit dresser tous les poils.

« Lorsqu’on veille les morts, on peut entendre les striges : elles chantent des airs qui vous emportent et auxquels on obéit malgré soi. Leur voix est suppliante et plaintive, flûtée comme celle d’un oiseau, tendre comme les gémissements d’un petit enfant qui appelle : rien ne peut y résister. Quand je servais mon maître, le banquier de la voie Sacrée, il eut le malheur de perdre sa femme. J’étais triste dans ce moment : car la mienne venait de mourir — belle créature, ma foi, et bien en chair — mais je l’aimais surtout pour ses bonnes manières. Tout ce qu’elle gagnait était pour moi ; si elle n’avait qu’un as, elle m’en donnait la moitié. Comme je rentrais à la villa, je vis des objets blancs qui remuaient parmi les tombeaux. Je meurs de frayeur,