Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/30

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surtout parce que j’avais laissé une morte en ville ; je cours à la maison de campagne, et je trouve, en passant sur le seuil, quoi ? Une flaque de sang avec une éponge trempée dedans.

« Et à travers la maison j’entends des hurlements et des pleurs ; car la maîtresse était morte à la tombée de la nuit. Les servantes déchiraient leurs robes et s’arrachaient les cheveux. On voyait une seule lampe, comme un point rouge, au fond de la chambre. Le maître parti, j’allumai un grand copeau de sapin, près de la fenêtre ; la flamme était pétillante et fumeuse tant que le vent agitait les tourbillons gris dans la chambre ; la lumière se baissait et se relevait avec un soufflement ; les gouttes de résine suintaient le long du bois et crépitaient.

« La morte était couchée sur le lit ; elle avait la figure verte et une multitude de petites rides autour de la bouche et aux tempes. Nous lui avions attaché un linge autour des joues pour empêcher ses mâchoires de s’ouvrir. Les papillons de nuit secouaient en cercle, près de la torche, leurs ailes jaunes ; les mouches se promenaient lentement sur le haut du lit, et chaque bouffée de vent faisait entrer des feuilles sèches, qui tournoyaient. Moi, je veillais au pied, et je pensais à toutes les histoires, aux mannequins de paille qu’on trouve le matin à la place des cadavres, et aux trous ronds que les sorcières viennent faire dans les figures pour sucer le sang.