Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/294

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

des glasses, et je vais avec eux crier‹ mort aux naves !› à la décarrade. »

Elle écarquillait les paupières et riait de tout son cœur.

« Comme tu es menteur ! dit-elle. Tout menteux, tout voleux, tout voleux, tout assassineux. Voilà pourquoi tu t’appelles l’Assassin. »

Ils se mirent en route, le long du boulevard. L’Assassin fit prendre une absinthe à Louisette, sur le zinc. Cela lui mit du rouge aux joues, du feu au sang, et un terrible bavardage à la langue. Elle disait, le regard dans le vague :

« C’est drôle : on marche, on a des jambes ; on boit, on a des bouches ; on cause, on a des langues ; c’est bête, à quoi ça sert ? Je pense à beaucoup de choses. On a des têtes, des nez, des oreilles ; c’est laid. Les yeux, c’est bon parce que ça regarde. »

Et elle regardait l’Assassin très doucement, et elle éclatait encore et encore de rire.

Les becs de gaz ayant l’air de se balancer, elle ne savait plus trop ce qu’elle faisait ni ce qu’elle disait. Elle passait sa main sous le bras de l’Assassin ; lui tâtait le col, elle fouillait dans ses poches. Elle lui donnait tous les noms de bêtes qu’elle pouvait imaginer. « Mon petit crocodile… j’en ai vu au Jardin des Plantes, oui, j’en ai vu. C’est noir ; ça vit dans l’eau, avec de grandes gueules et beaucoup de petites dents ; c’est méchant comme toi. Oui, oui, c’est gentil. » Elle se taisait un moment, penchant la tête d’un