Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/300

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bouche enfoncés comme ceux des vieillards de maison centrale, la chemise largement découpée, une veste brune sur les épaules, il marche hardiment ; et ses yeux vifs, inquiets, scrutateurs, parcourent tous les visages ; sa figure se tourne vers toutes les figures avec un mouvement composite qui semble fait de mille tremblements. Ses lèvres sont agitées ; on dit qu’elles marmottent : « La guillotine ! la guillotine ! » Puis, la tête inclinée, les yeux perçants fixés droit sur la ligne de la bascule, il avance comme une bête qui tire la charrue. Soudain, il heurte la planche, et de sa gorge s’élève une voix grêle, aigre, comme un tintement fêlé, avec une note montante, aiguë, sur le mot assassin deux fois répété.

Un battement sourd ; une manche de redingote avec la marque blanche de la main sur le montant gauche de la guillotine ; un choc flou ; une poussée de gens vers la fontaine sanglante qui doit gicler ; le panier brun luisant jeté dans un des fourgons ; trente secondes à tout cela depuis la porte de la prison.

Et, par la rue de la Roquette, roulant à fond de train, la voiture de l’abbé Faure en tête, puis deux gendarmes, le fourgon dévale, trois gendarmes en queue ; sur les trottoirs, les mauvaises figures sont massées, tournées vers la chevauchée, avec des filles en cheveux qui ricanent. Les trois gendarmes, reîtres de la guillotine, trottent vers l’avenue de Choisy, le bicorne penché en avant, laissant voler au vent le