Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/301

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pan du manteau, avec ses retroussis rouges — jusqu’au champ des navets, au nouveau cimetière d’Ivry. Un trou oblong, creusé dans la terre glaise, des tas de boue jaune, gluante, rejetés autour, bâille parmi l’ivraie verte : sur la crête du mur, jambe de-ci de-là, une rangée d’êtres humains, coiffés de casquettes, attendent le panier.

Le fourgon s’arrête ; on tire le corbillard d’osier brun ; on pose dans une boîte de bois blanc un homme sans tête, qui a les mains nouées, pâles comme de la cire transparente, avec l’intérieur tourné en dehors ; on ajuste une tête, la figure levée vers la lumière, exsangue, les yeux fermés, avec des meurtrissures noires, un caillot sombre au nez, un autre au menton. Cette tête est plantée contre un dos, sur lequel s’ouvrent des mains ; et lorsqu’on cherche la pointe des pieds, on trouve les talons. Il y a là-dessus des flaques de sciure.

Des hommes clouent sur la boîte un couvercle de bois blanc, aux arêtes vives ; il y a de l’horreur à se rappeler les caisses de biscuits, et sur ce sapin on lit en lettres noires maculées : Prix 8 francs. Le coffre dans le trou, on y jette de la terre glaise ; c’est fini.

Les sous-aides du bourreau vont boire en face une bouteille de vin blanc ; il y a là un jeune homme qui a des yeux de velours, des mains rouges, un air froid et modeste, et qui a monté la guillotine. Il y a les conducteurs du fourgon, que rien n’étonne plus. Il y a un gros homme, avec un dolman d’astrakan de laine