Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/31

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« Voilà que s’éleva parmi les huées du vent un son strident, aigre et tendre ; on eût dit qu’une petite fille chantait pour supplier. Le mode flottait dans l’air et entrait plus fort avec les souffles qui éparpillaient les cheveux de la morte ; cependant j’étais comme frappé de stupeur et je ne bougeais pas.

« La lune se mit à briller avec une lumière plus pâle ; les ombres des meubles et des amphores se confondirent avec la noirceur du sol. Mes yeux, qui erraient, tombèrent sur la campagne et je vis le ciel et la terre s’illuminer d’une lueur douce, où les buissons lointains s’évanouissent, où les peupliers ne marquaient plus que de longues lignes grises. Il me sembla que le vent s’apaisait et que les feuilles ne remuaient plus : je vis glisser des ombres derrière la haie du jardin. Puis mes paupières me parurent de plomb et se fermèrent ; je sentis des frôlements très légers.

« Soudain, le chant du coq me fit tressauter, et un souffle glacé du vent matinal froissa les cîmes des peupliers. J’étais appuyé au mur ; par la fenêtre je voyais le ciel d’un gris plus clair et une traînée blanche et rose du côté de l’Orient. Je me frottai les yeux, — et lorsque je regardai ma maîtresse, — que les dieux m’assistent ! — je vis que son corps était couvert de meurtrissures noires, de taches d’un bleu sombre, grandes comme un as, — oui, comme un as, — et parsemées sur toute