Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/36

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— Ne vois-tu pas que je suis le diable ? répondit la bête en se dressant.

— Non, monsieur le diable, cria la petite fille ; mais, o… o… oh… ne me faites pas de mal. Ne me fais pas de mal, monsieur le diable. Je ne te connais pas, vois-tu ; je n’ai jamais entendu parler de toi. Est-ce que tu es méchant, monsieur ?

Le diable se mit à rire. Il avança sa griffe pointue vers l’enfant et jeta ses noisettes à l’écureuil. Quand il riait, les bouquets de poils qui poussaient de ses narines et de ses oreilles dansaient dans sa figure.

— Mon enfant, dit le diable, tu es la bienvenue. J’aime les personnes simples. Tu me fais l’effet d’être une bonne petite fille ; mais tu ne sais pas ton catéchisme. On t’apprendra peut-être plus tard que j’emporte les hommes : tu vas bien voir que ce n’est pas vrai. Tu ne viendras avec moi que si tu le veux.

— Mais, dit la petite, je ne veux pas, diable. Tu es vilain ; chez toi, ça doit être tout noir. Moi, vois-tu, je cours dans le soleil, sur la route ; je ramasse des fleurs, et, quelquefois, quand passent des dames ou des messieurs, ils me les prennent pour des sous. Et le soir, il y a des bonnes femmes qui me mettent à coucher dans la paille ou dans le foin, des fois. Seulement ce soir je n’ai rien mangé, parce que nous sommes en forêt. »

Et le diable dit : « Écoute, petite fille, et n’aie pas peur. Je vais te tirer d’affaire. Ton sabot est tombé, remets-le. »