Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/38

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passerelle du ruisseau qui coupait la route : la chute et l’effroi la firent pâmer. L’eau en sifflotant lui baignait les cheveux ; les araignées rouges couraient entre les feuilles de nénuphars pour la regarder ; les grenouilles vertes accroupies la fixaient en avalant l’air. Cependant le mendiant se gratta lentement la poitrine sous sa chemise noircie et reprit sa route en traînant la jambe. Peu à peu le cliquètement de sa sébile contre son bâton s’évanouit.

La petite se réveilla sous le grand soleil. Elle était meurtrie et ne pouvait remuer son bras droit. Assise sur la passerelle, elle tâchait de résister aux étourdissements. Puis, au loin, sur la route, sonnèrent les grelots d’un cheval ; un peu après, elle entendit le roulement d’une voiture. Abritant ses yeux du soleil avec la main, elle vit une coiffe blanche qui brillait entre deux blouses bleues. Le char-à-bancs avançait rapidement ; devant trottinait un petit cheval breton au collier garni de grelots, avec deux plumeaux fournis au-dessus des œillères. Lorsqu’il fut à la hauteur de la petite, elle tendit son bras gauche en suppliant.

La femme cria : « Ma fi, dirait-on pas une garçaille qui chine ? Arrête donc le cheval, toi, Jean, voir ce qu’elle a. Tiens bon que je descende et qu’il ne se trotte pas. Ho ! ho ! allons donc ! Voyons voir ce qui la tient. »

Mais lorsqu’elle la regarda, la petite était déjà repartie pour le pays des songes. Le soleil lui avait trop piqué les yeux, et aussi la route blanche, et la