Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/42

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progrès, dit le diable, tu es libre de venir.

— Comment ! dit-elle, ne suis-je point pécheresse et ne vas-tu pas me brûler, mon Dieu ?

— Non pas, dit le diable : tu peux vivre ou venir avec moi.

— Mais, Satan, je suis morte !

— Non pas, dit le diable : il est vrai que je t’ai fait vivre toute ta vie, mais pendant l’instant seulement que tu as remis ton sabot. Choisis entre la vie que tu as menée et le nouveau voyage que je t’offre. »

Alors la petite se couvrit les yeux de sa main et pensa. Elle se rappela ses peines et ses ennuis, et sa vie triste et grise ; elle se sentit lasse pour tout recommencer.

« Eh bien ! dit-elle au diable, je suis damnée, mais je te suis. »

Le diable siffla un jet de vapeur blanche de sa bouche violet sombre, enfonça ses griffes dans la jupe de la petite fille, et, ouvrant de grandes ailes noires de chauve-souris, monta rapidement au-dessus des arbres de la forêt. Des gerbes de feu rouge jaillaissaient comme des fusées de ses cornes, des bouts de ses ailes et des pointes de ses pieds ; la petite pendait inerte, comme un oiseau blessé.

Mais, soudain, douze coups sonnèrent à l’église de Blain, et de tous les champs sombres montèrent des formes blanches, des femmes et des hommes, aux ailes transparentes, et qui volaient doucement par les airs. Or, c’étaient les saints et saintes dont venait de commencer la fête ; le ciel pâle en était