Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/58

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savait que c’était le choléra asiatique : les navires restaient en quarantaine au lazaret ; tout le monde était dans une crainte vague.

Je n’avais pas grande responsabilité là-dessus ; mais je peux dire que l’idée de voiturer la maladie me tourmentait beaucoup. Sûr, elle devait gagner Marseille ; elle arriverait à Paris par le rapide. Dans ce temps-là, nous n’avions pas de boutons d’appel pour les voyageurs. Maintenant, je sais qu’on a installé des mécanismes fort ingénieux. Il y a un déclenchement qui serre le frein automatique, et au même moment une plaque blanche se lève en travers du wagon comme une main, pour montrer où est le danger. Mais rien de semblable n’existait alors. Et je savais que si un voyageur était pris de cette peste d’Asie qui vous étouffe en une heure, il mourrait sans secours, et que je ramènerais à Paris, en gare de Lyon, son cadavre bleu.

Le mois de juin commence, et le choléra est à Marseille. On disait que les gens y crevaient comme des mouches. Ils tombaient dans la rue, sur le port, n’importe où. Le mal était terrible ; deux ou trois convulsions, un hoquet sanglant, et c’était fini. Dès la première attaque, on devenait froid comme un morceau de glace ; et les figures des gens morts étaient marbrées de taches larges comme des pièces de cent sous. Les voyageurs sortaient de la salle aux fumigations avec un brouillard de vapeur puante autour de leurs vêtements. Les agents de la Compagnie