Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/62

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avait la poitrine nue. Des plaques bleuâtres tachaient sa peau ; ses doigts, crispés, étaient ridés et ses ongles livides ; ses yeux étaient entourés de cercles bleus. Tout cela, je l’aperçus d’un coup d’œil, et je reconnus aussi que j’avais devant moi mon frère et qu’il était mort du choléra.

Quand je repris connaissance, j’étais en gare de Dijon. Graslepoix me tamponnait le front ; — et il m’a souvent soutenu que je n’avais pas quitté la machine — mais je sais le contraire. Je criai aussitôt : « Courez au A. A. F. 2551 ! » — et je me traînai jusqu’au wagon, — et je vis mon frère mort comme je l’avais vu avant. Les employés fuirent épouvantés. Dans la gare on n’entendait que ces mots : « Le choléra bleu ! »

Alors Graslepoix emporta la femme et la petite, qui n’étaient évanouies que de peur, — et, comme personne ne voulait les prendre, il les coucha sur la machine, dans le poussier doux du charbon, avec leurs pièces de soie brodée.

Le lendemain, 23 septembre, le choléra s’est abattu sur Paris, après l’arrivée du rapide de Marseille.

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La femme de mon frère est chinoise ; elle a les yeux fendus en amande et la peau jaune. J’ai eu du mal à l’aimer : cela paraît drôle, une personne d’une autre race. Mais la petite ressemblait tant à mon frère ! Maintenant que je suis vieux et que les trépidations