Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/61

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avions sur une ardoise le numéro du train, marqué à la craie : 180. — Vis-à-vis de nous, à la même place, un grand tableau blanc s’étalait, avec ces chiffres en noir : 081. La file des wagons se perdait dans la nuit, et toutes les vitres des quatre portières étaient sombres.

« En voilà, d’une histoire ! dit Graslepoix. Si jamais j’aurais cru… Attends, tu vas voir. »

Il se baissa, prit une pelletée de charbon, et le jeta au feu. — En face, un des hommes noirs se baissa de même et enfonça sa pelle dans la fournaise. Sur la brume rouge, je vis ainsi se détacher l’ombre de Graslepoix.

Alors une lumière étrange se fit dans ma tête, et mes idées disparurent pour faire place à une imagination extraordinaire. J’élevai le bras droit, — et l’autre homme noir éleva le sien ; je lui fis un signe de tête, — et il me répondit. Puis aussitôt je le vis se glisser jusqu’au marchepied, et je sus que j’en faisais autant. Nous longeâmes le train en marche, et devant nous la portière du wagon A. A. F. 2551 s’ouvrit d’elle-même. Le spectacle d’en face frappa seul mes yeux, — et pourtant je sentais que la même scène se produisait dans mon train. Dans ce wagon, un homme était couché, la figure recouverte d’un tissu de poil blanc ; une femme et une petite fille, enveloppées de soieries brodées de fleurs jaunes et rouges, gisaient inanimées sur les coussins. Je me vis aller à cet homme et le découvrir. Il