Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/66

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carcasses des pièces de 155 long qui dormaient dans le couloir. Et les hommes, tant ils avaient marché courbés par l’obscurité, les mains usées sur les pierres des murs, les doigts meurtris aux manœuvres de force, semblaient de vieux chevaux fourbus qui s’avancent pesamment avec un regard résigné dans leurs yeux éteints.

La vie n’était que dans les galeries, à la tourelle, et aux batteries détachées : elle ne refluait pas au centre, ouvert sous le ciel bleu ; et depuis longtemps les abords du logement du gouverneur étaient déserts. Chacun, depuis l’investissement, avait eu sa besogne fixée comme dans un cuirassé : les officiers d’approvisionnement, siégeant dans les magasins, ouvraient continuellement et examinaient les barriques de porc, les caisses de fer-blanc pleines de farine, crevaient les boîtes de conserves, dédoublaient l’alcool, débondaient les tonneaux et goûtaient au tire-vin. Mais les casemates aux vivres étaient vides maintenant, avec les subsistances de charbon ; le poussier était noyé dans les dernières flaques d’eau rougie, et des morceaux de biscuit pourrissaient près des gonds disloqués.

Le commandant haussa les épaules, quand deux soldats, frappant à la porte, vinrent lui annoncer que les fils du télégraphe étaient rompus, que les récepteurs du téléphone ne fonctionnaient plus, que l’appareil de télégraphie optique avait volé en morceaux. L’espoir était loin, sans doute : mais il n’y