Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/75

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Cette petite femme était vraiment gentille : son peignoir bon marché lui moulait le sein ; elle avait, à cause de ses cheveux relevés à la chinoise, une douce figure d’enfant. La douleur naïve et l’incertitude presque risible se mélangeaient dans son expression et contractaient ses traits comme ceux d’une petite fille qui vient de casser un joujou. De sorte que le médecin en chef ne se tint pas de sourire ; et, comme il parlait gras, il dit à la petite femme qui le regardait en dessous : « Eh ben ! quoi ! emporte-les, tes Sans-Gueule, tu les reconnaîtras à l’essai ! »

Elle fut d’abord scandalisée, et détourna la tête, avec une rougeur d’enfant honteuse ; puis elle baissa les yeux, et regarda de l’un à l’autre lit. Les deux coupes rouges couturées reposaient toujours sur les oreillers, avec cette même absence de signification qui en faisait une double énigme. Elle se pencha vers eux ; elle parla à l’oreille de l’un, puis de l’autre. Les têtes n’eurent aucune réaction, — mais les quatre mains éprouvèrent une sorte de vibration, — sans doute parce que ces deux pauvres corps sans âme sentaient vaguement qu’il y avait près d’eux une petite femme très gentille, avec une odeur très douce et d’absurdes manières exquises de bébé.

Elle hésita encore pendant quelque temps, et finit par demander qu’on voulût bien lui confier les deux Sans-Gueule pendant un mois. On les porta dans une grande voiture rembourrée, toujours l’un