Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/84

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et qui tremblotent dans le lointain. Et, agenouillée sur ma poitrine, elle m’a fermé la bouche de la main ; dans un long baiser au cœur elle m’a mordu la chair et sucé le sang jusqu’à me tirer vers le néant de l’évanouissement.

La troisième nuit elle m’a bandé les paupières d’un crêpe de soie mahratte où dansaient des araignées multicolores dont les yeux étaient étincelants. Et elle m’a serré la gorge d’un fil sans fin ; et elle a violemment attiré mon cœur vers ses lèvres par la plaie de sa morsure. Alors elle s’est glissée dans mes bras jusqu’à mon oreille, pour me murmurer : « Je suis la nymphe Arachné ! »

Certes, je ne suis pas fou ; car j’ai compris aussitôt que ma brodeuse Ariane était une déesse mortelle, et que de toute éternité j’avais été désigné pour la mener avec son fil de soie hors du labyrinthe de l’humanité. Et la nymphe Arachné m’est reconnaissante de l’avoir délivré de sa chrysalide humaine. Avec des précautions infinies, elle a emmailloté mon cœur, mon pauvre cœur, de son fil gluant ; elle l’a enlacé de mille tours. Toutes les nuits elle serre les mailles entre lesquelles ce cœur humain se racornit comme un cadavre de mouche. Je m’étais éternellement attaché Ariane en lui étreignant la gorge de sa soie. Maintenant Arachné m’a lié éternellement à elle de son fil en m’étranglant le cœur.

Par ce pont mystérieux je visite à minuit le