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Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/83

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entière dans la mort. Et cette idée, logique assurément, devint le point lumineux de ma pensée. Je n’y résistai pas longtemps. Quand elle posa sa tête penchée sur mon cou pour s’endormir, je lui passai autour de la gorge avec précaution la cordelette de soie que j’avais prise dans sa corbeille ; et, la serrant lentement, je bus son dernier souffle dans son dernier baiser.

Vous nous avez pris ainsi, bouche contre bouche. Vous avez cru que j’étais fou et qu’elle était morte. Car vous ignorez qu’elle est toujours avec moi, éternellement fidèle, parce qu’elle est la nymphe Arachné. Jour après jour, ici, dans ma cellule blanche, elle s’est révélée à moi, depuis l’heure où j’ai aperçu une araignée qui tissait sa toile au-dessus de mon lit : elle était petite, brune et vive des pattes.

La première nuit, elle est descendue jusqu’à moi, le long d’un fil ; suspendue au-dessus de mes yeux, elle a brodé sur mes prunelles une toile soyeuse et sombre avec des reflets moirés et des fleurs pourpres lumineuses. Puis j’ai senti près de moi le corps nerveux et ramassé d’Ariane. Elle m’a baisé le sein, à l’endroit où il couvre le cœur, — et j’ai crié sous la brûlure. Et nous nous sommes longuement embrassés sans rien dire.

La seconde nuit, elle a étendu sur moi un voile phosphorescent piqué d’étoiles vertes et de cercles jaunes, parcouru de points brillants qui fuient et se jouent entre eux, qui grandissent et qui diminuent