Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/97

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semblables aux rayons d’articles de voyage : mais je puis dire tout de suite qu’en la touchant plus tard je vis que c’était vraiment la peau d’un animal sauvage ; de même le bonnet de la personne endormie, lorsque je le détaillai avec la puissance de vision suraiguë que j’obtins, me parut être d’un feutre blanc infiniment délicat. L’autre voyageur, d’une figure sympathique, paraissait avoir juste franchi la trentaine ; il avait d’ailleurs la tournure insignifiante d’un homme qui passe confortablement ses nuits en chemin de fer.

Le dormeur ne montra pas son billet, ne tourna pas la tête, ne remua pas pendant que je m’installais en face de lui. Et lorsque je me fus assis sur la banquette, je cessai d’observer mes compagnons de voyage pour réfléchir à diverses affaires qui me préoccupaient.

Le mouvement du train n’interrompit pas mes pensées ; mais il dirigeait leur courant d’une curieuse façon. Le chant de l’essieu et des roues, la prise des rails, le passage sur les jonctions des rails, avec le soubresaut qui secoue périodiquement les voitures mal suspendues se traduisait par un refrain mental. C’était une sorte de pensée vague qui coupait à intervalles réguliers mes autres idées. Au bout d’un quart d’heure, la répétition touchait à l’obsession. Je m’en débarrassai par un violent effort de volonté ; mais le vague refrain mental prit la forme d’une notation musicale que je prévoyais. Chaque heurt n’était pas une note, mais l’écho à l’unisson