Page:Schwob - Mœurs des diurnales, 1903.djvu/190

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Mais il change de nature avec l’âge. Souvenez-vous de la page la plus intéressante du roman que vous dévoriez après coucher le soir, vers quinze ans, dans le moment où elle se brouille, s’assombrit, s’efface, tandis que la bougie brûlée à fond crépite, palpite bleu, fait craquer la bobèche, et s’éteint. Et du petit livre appuyé sur l’oreiller pour recevoir la première pauvre lumière du jour : couché sur le ventre, le menton soutenu par les mains, les coudes écartés, j’aspirais tous les mots. Jamais je n’ai lu plus délicieusement. Il n’y a pas longtemps que j’ai essayé de reprendre ma vieille position de l’aube. Elle m’a paru insupportable. Une charmante dame slave se plaignait un jour devant moi de n’avoir jamais trouvé la position « idéale » pour lire. Si on s’assied à une table, on ne se sent pas en communion avec le livre. Si on s’en approche, la tête entre les mains, il semble qu’on s’y noie parmi une sorte d’afflux sanguin. Dans un fauteuil, le livre pèse vite aux mains. On se couche ; on se met sur le dos, et, pour lire, on prend froid aux bras. Souvent la lumière est mauvaise ; il y a de la gêne pour tourner les pages ; si on se met sur le côté, la moitié du livre échappe : ce n’est plus la véritable pos-