Page:Schwob - Mœurs des diurnales, 1903.djvu/71

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sanglé dans sa redingote, la longue pipe Gambier aux doigts, l’œil gris encore plein des lointains de l’Océan ; Chinchilla, qui avait connu tous les Présidents de la République ; Moquefort, la bête noire de l’Empereur ; l’antique reporter Troupeau, qui mangeait un gigot sur la fourchette ; et Montdore, et Fromageon, et le spadassin Cervelas, et l’intrépide Videgueule, et l’insaisissable Poilmain, et le vieux démocsoc Barbichon, et Poisson le galantuomo et l’élégant Rotulasse, et le spirituel Douilloche, et Notre Maître Francisque Sarcey qui pouffait sur une chaise dépaillée !

Ah, c’était le bon temps des journaux, mes amis, qu’on refaisait, sur le coup de minuit une heure, l’histoire de Paris autour d’une canette de bière ; tandis qu’un blanc-bec attardé demeurait coi, tout ébloui, à nous écouter, le pain à cacheter sur la langue, les ciseaux ouverts à la main ; et que le vieux cheval de retour des chroniques, au coin de la table, laissait courir sur les feuillets son porte-plume de bois rouge, sacrait contre l’encre boueuse de la petite bouteille à deux sous et souriait à sa copie. On disait là des choses éternelles, des potins, des saletés, des rosseries, des âneries, et tous les mots des