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COURNOT ET LE PRAGMATISME

Cournot distingue, en toute science, une partie positive, susceptible de vérification directe, directement placée sous le contrôle de l’expérience ; puis, autour ou au-dessus de cette partie positive, une autre qu’il appelle tantôt rationnelle, tantôt philosophique, dont le savant ne consentirait pas à se passer et qui forme pour lui l’ensemble des théories explicatives. Cette distinction en reflète d’ailleurs souvent une autre fondamentale, plus aisée à traduire, celle de la Science et de la Philosophie. La première comprend les faits ou les vérités que l’expérience et la logique permettent d’établir et de vérifier complètement ; la seconde désigne les démarches par lesquelles l’esprit a la prétention de chercher les « connexions rationnelles » qui relient les faits, « la raison profonde des phénomènes observés ou des vérités conclues, laquelle peut rester voilée derrière les causes immédiates ou les prémisses logiques » (Essai, 325). De ces deux domaines ouverts à nos recherches, l’un est celui ou régnent en maîtresses l’observation et la démonstration en règle ; l’autre, où se poursuit la recherche de la raison des choses, s’offre tout entier « à l’activité philosophique de l’esprit », car « la raison des choses n’a rien qui tombe sous les sens, rien qui puisse être constaté par l’expérience sensible » (Essai, idem) — et d’autre part elle ne saurait en aucun cas être épuisée par la rigueur logique. Le premier est le monde des faits ou des vérités démontrables, l’autre est le monde des idées et de la raison.

Cournot, passant en revue tous les ordres de spéculation scientifique, montre partout la coexistence et la superposition des deux parties, — faisant, même en mathématique, la part du positif, et même dans les sciences descriptives, comme la botanique ou la zoologie, la part du rationnel. Sans insister sur une telle analyse qui remplit le XXIe chapitre de l’Essai, j’arrive tout de suite à ce qui fait l’objet propre de cette étude : Quels sont les caractères de la partie rationnelle des sciences, des théories explicatives, et notamment des principes sur lesquels ou les fonde ? Théories et principes se trouvent-ils nécessairement déterminés par les faits auxquels ils correspondent ? Ou, s’il y a quelque indétermination, comment se fait le choix du savant ? A quelle appréciation objective pouvons-nous prétendre ?