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“SCIENTIA„

Qu’en regard du même ensemble de faits et de vérités qui forment l’élément positif d’une science, s’offre à l’activité rationnelle de l’esprit une certaine multiplicité de théories explicatives, cela ne fait point de doute pour Cournot. Il en a eu le sentiment déjà quand il enseignait les Mathématiques à la Faculté des Sciences de Lyon, comme en témoignent clairement les deux ouvrages sortis un peu plus tard de ses leçons — (Traité élémentaire de la théorie des fonctions et du calcul infinitésimal et De l’origine et des limites de la correspondance entre l’algèbre et la géométrie). Il s’est trouvé en présence de diverses méthodes d’exposition, soit pour les principes du calcul infinitésimal, soit pour les théories des nombres négatifs, des imaginaires, ou des irrationnels, et il a dû choisir. De bonne heure d’ailleurs il a compris que quel que soit ce choix, la partie matérielle de la science reste la même. Comme il le redira dans l’Essai (156), « tous les géomètres appliquent aux symboles des valeurs négatives, imaginaires, infinitésimales, les mêmes règles de calcul, obtiennent les même formules, quelque opinion philosophique qu’il se soient faite sur l’origine et sur l’interprétation de ces symboles ». Ou encore, (329) « L’union intime et pourtant la primitive indépendance de l’élément philosophique et de L’élément positif ou proprement scientifique dans le système de la connaissance humaine, se manifestent ici (en mathématique) par ce fait bien remarquable, que l’esprit ne peut régulièrement procéder à la construction scientifique sans adopter une théorie philosophique quelconque, et que néanmoins les progrès et la certitude de la science ne dépendent point de la solution donnée à la question philosophique ».

Serait-ce donc que le choix reste indifférent entre les théories diverses, et peut ne dépendre que du caprice de chacun ? Les théories ne seraient-elles que « les résultats de règles admises par convention arbitraire » ? En particulier, pour les Mathématiques, il y a, au dire de Cournot, toute une secte de géomètres qui pensent ainsi, et le problème qu’elle soulève est à ses yeux le problème le plus grave de la philosophie des Mathématiques comme de toute philosophie. Il n’hésite pas à déclarer contre elle que, si les signes dont