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purement personnelles. Je vous entends, disait-il ; vous parlez le langage d’un froid stoïque, ou du moins celui d’une partiale amitié. Mais voyez tous les livres que nous avons lus, à l’exception de ceux qui traitent de cette philosophie abstraite qui ne saurait se faire entendre de nos sentiments naturels. L’extérieur de la personne, tel au moins que l’on puisse le voir sans horreur et sans dégoût, n’est-il pas toujours représenté comme partie essentielle de l’idée que nous nous faisons d’un ami, à plus forte raison d’un amant ? Un monstre difforme tel que moi n’est-il pas exclu, par la volonté même de la nature, des plus belles jouissances qu’elle nous offre ? Qu’y a-t-il, excepté mes richesses, qui empêche tout le monde, peut-être même Letitia, ou vous, de me fuir, comme un être étranger à votre nature, inspirant même l’horreur par cette informe ressemblance avec l’humanité que nous observons dans les tribus d’animaux qui sont insupportables aux yeux de l’homme, parce qu’ils semblent en être la caricature ?

— Ce sont là les discours d’un insensé, dit miss Vère.

— Non, répliqua Ratcliffe, à moins qu’on ne puisse regarder comme démence une sensibilité aussi grande. Je ne nierai pas cependant que ce sentiment et cette crainte qui le dominent ne l’aient entraîné à des écarts qui annonçaient une imagination dérangée. Il paraissait croire qu’il était nécessaire qu’il cherchât, par des actes extraordinaires, et quelquefois peu réfléchis, de générosité et même de profusion, à se rattacher au genre humain, duquel il se regardait comme naturellement séparé. Les bienfaits qu’il répandit, par suite de son caractère extraordinairement philanthropique, étaient exagérés par l’effet de la réflexion poignante qu’il était nécessaire qu’il fît plus que les autres, en sorte qu’il prodiguait ses trésors comme un moyen de corruption propre à engager les hommes à l’admettre parmi eux. Il est