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Le Miroir de ma Tante Marguerite

qui n’a pas été touchée pendant la vie de ma tante. J’y suis grandement intéressé, car chaque pas rappelle à ma mémoire des souvenirs d’enfance : voilà la barrière par-dessus laquelle une servante maussade me fit passer en me grondant de ne pouvoir la franchir à cause de mon infirmité, tandis que mes frères la sautaient avec facilité ; je me souviens de la pénible émotion que j’éprouvais dans ce moment, et, convaincu de ma propre infériorité, je regardais avec un œil d’envie les mouvements souples et élastiques de mes frères, plus heureusement constitués que moi. Hélas ! ces gracieux navires ont tous péri dans le grand océan de la vie, et celui qui semblait devoir échouer a, comme dit le matelot, atteint le port après la tempête. Voilà aussi l’étang sur lequel nous faisions manœuvrer notre petite flotte construite avec la large feuille de l’iris. Un de mes frères, destiné plus tard à mourir sous la bannière de Nelson, faillit s’y noyer. Ici sont les taillis de coudriers, où mon frère Henri cueillait des noisettes, ne pensant point qu’il dût mourir un jour dans les jungles indiens[1], à la recherche des roupies. Ce sentier me rappelle encore combien d’autres souvenirs ! Et lorsque, appuyé sur ma béquille, je m’arrête en comparant le passé au présent, je doute presque que ce soit moi, jusqu’à ce que me tournant en face de la petite porte couverte de chèvrefeuille de la maison de ma tante, je reconnais son aspect irrégulier ; les fenêtres couvertes de treillage paraissent faites avec un art tout particulier, afin qu’aucune d’elles ne se ressemble en forme, en grandeur ou par leur gothique entablement de pierre et les tablettes qui les ornent. Cette habitation, autrefois appelée maison des Clos-du-Comte, nous appartient encore, et, par un arrangement de famille, ma tante Marguerite a le droit

  1. Endroits marécageux et couverts de broussailles, sur les bords du Gange, où le tigre établit son repaire. A. M.