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Isabelle Vère

avec succès ; il en est encore moins qui soient suivies… Arrêtez », dit-il à miss Vère au moment où ses compagnes s’en allaient, « j’ai quelque chose de plus à vous dire. Vous avez ce que vos compagnes désiraient posséder, ou du moins ce que l’on croit qu’elles possèdent, beauté, richesse, rang, talents.

— Permettez-moi de suivre mes compagnes, bon père, dit Miss Vère, je suis à l’épreuve de la flatterie et de la bonne aventure.

— Un instant », continua le Nain en saisissant la bride du cheval ; « je ne suis ni un devin ordinaire ni un flatteur. Tous les avantages que je viens de vous détailler, tous, et chacun d’eux, ont des maux qui leur correspondent : un amour malheureux, des affections contrariées, la sombre tristesse d’un couvent ou un mariage odieux. Moi, qui souhaite du mal à tout le genre humain en général, je ne puis vous en désirer davantage, tant le cours de votre vie est assiégé de malheurs.

— Eh bien, mon père, dit miss Vère, laissez-moi jouir de la prospérité qui est à ma portée, comme d’un adoucissement à l’adversité dont vous me menacez. Vous êtes vieux, vous êtes pauvre ; votre habitation est loin de tout secours humain, dans le cas où vous seriez malade ou dans le besoin ; votre situation vous expose, sous plusieurs rapports, aux soupçons du vulgaire, qui n’est que trop disposé à se porter à des actes de brutalité. Laissez-moi le plaisir de penser que j’ai adouci le sort d’une créature humaine. Acceptez le secours qu’il est en mon pouvoir de vous offrir ; acceptez-le pour l’amour de moi, si ce n’est pas pour l’amour de vous-même, afin que, lorsque j’aurai à endurer les maux que vous ne m’annoncez peut-être que d’une manière trop certaine, je n’aie pas la douleur de réfléchir que les heures d’un temps plus propice auront été tout à fait perdues. »

Le vieillard répondit d’une voix entrecoupée, et presque sans s’adresser à la jeune dame :