Page:Scott - Le nain noir, Le miroir de ma tante Marguerite, trad Montémont, 1916.djvu/66

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
64
Le Nain Noir

« Oui, c’est ainsi que tu devrais penser… c’est ainsi que tu devrais parler, si jamais les discours des hommes étaient d’accord avec leurs pensées. Ils ne le sont pas… non, ils ne le sont pas… Hélas ! ils ne peuvent pas l’être. Et cependant… Attendez ici un instant… ne bougez pas jusqu’à mon retour. » Il alla à son petit jardin, et revint avec une rose à moitié épanouie.

— Tu m’as fait verser une larme, la première qui ait mouillé ma paupière depuis bien des années. Reçois ce gage de ma reconnaissance pour un tel bienfait. Ce n’est qu’une rose ordinaire ; conserve-la cependant, et ne t’en sépare point ! Viens me trouver à l’heure de l’adversité. Montre-moi cette rose, ou même une seule feuille ; fût-elle aussi flétrie que mon cœur… fût-ce dans les accès les plus violents et les plus terribles de ma rage contre un monde que j’abhorre, elle fera renaître dans mon sein des pensées plus douces, et dans le tien peut-être l’espoir d’un avenir plus heureux. Mais point de message… point d’intermédiaire. Viens toi-même, et mon cœur et ma porte, qui sont fermés pour tout autre humain, s’ouvriront pour toi et tes chagrins. Maintenant tu peux partir. »

Il lâcha la bride, et la jeune dame s’éloigna, après avoir témoigné ses remercîments à cet être singulier, autant que put le lui permettre la surprise que lui avait causée un discours aussi extraordinaire, se tournant fréquemment pour regarder le Nain, qui restait toujours à la porte de son habitation, et observait sa course à travers le Moor vers le château de son père Ellieslaw, jusqu’à ce que le revers de la colline la dérobât à ses yeux ainsi que toute la compagnie.

Cependant les dames se mirent à plaisanter avec miss Vère sur l’étrange entrevue qu’elles venaient d’avoir avec le très-renommé sorcier de Mucklestane-Moor. Le bonheur est pour Isabelle seule partout où elle se trouve ; son faucon abat le coq noir de la