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LES PURITAINS D’ÉCOSSE

d’un remords que son enthousiasme ne saurait émousser. — Je suis fatigué de ne voir autour de moi que fureur et violence. Je suis fatigué de mon pays, de moi-même, de tout, excepté d’Édith, qui ne m’appartiendra jamais : l’orgueil de sa grand’mère, les opinions différentes de nos familles, tout contrarie mon espoir. Pourquoi prolonger une illusion si pénible ? — Mais, reprit-il tout haut et en se redressant avec fierté ; du moins je suis libre ; l’Europe est ouverte devant moi. — Si un heureux hasard ne peut m’élever au rang de nos Ruthwen, de nos Lesley, de nos Monroe, ces capitaines si chers au fameux champion du protestantisme Gustave-Adolphe, du moins me restera-t-il l’existence d’un soldat.

Au moment où il prenait cette détermination, Henry se trouva devant la porte de la maison, et résolut de ne pas perdre de temps pour la communiquer à son oncle. — Un coup d’œil d’Édith, pensait-il, un seul mot d’elle ferait évanouir toutes mes résolutions. Il faut que je fasse un pas qui ne me permette plus de reculer.

Il entra avec cette intention dans le salon lambrissé où M. Milnwood prenait ses repas, et il l’y trouva assis dans un grand fauteuil, ayant devant lui une jatte de gruau, son déjeuner ordinaire. La femme de charge était appuyée sur le dossier du fauteuil.

Lorsque cet aimable personnage aperçut son neveu, il se hâta avant de lui adresser la parole, de porter à sa bouche sa première cuillerée de gruau. Elle était brûlante ; et comme il l’avait avalée sans précaution, la douleur qu’il ressentit augmenta l’envie de gronder qu’il éprouvait déjà. — Au diable soit celui qui a préparé ce gruau ! s’écria-t-il avec colère, en apostrophant son déjeuner,

— Il est pourtant bon, répondit mistress Wilson. Mais pourquoi vous pressez-vous tant ?

— Paix ! Alison. — Eh bien, Monsieur, vous menez une belle vie ! vous n’êtes rentré hier qu’à minuit.

— À peu près, Monsieur.

— Et pourquoi n’êtes-vous pas rentré aussitôt après la revue ?

— Je présume que vous en savez la raison ; j’ai eu l’avantage d’être le meilleur tireur, et j’ai été obligé de rester pour offrir quelques rafraîchissements aux jeunes gens.

— Des rafraîchissements ? et vous venez me dire cela en face ! Vous vous mêlez de régaler les autres, vous qui n’auriez pas à dîner si je ne vous gardais chez moi par charité, tandis que j’ai à peine ce qu’il me faut pour vivre ! Mais si vous m’occasionnez des dépenses, il est temps que vous m’en dédommagiez par votre travail. Je ne vois pas pourquoi vous ne conduiriez pas ma charrue : justement le laboureur vient de nous quitter ; cela vaudrait mieux que de porter ces habits verts, et de dépenser votre argent en