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Page:Scott - Oeuvres de Walter Scott, trad Defauconpret, 1836.djvu/393

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XIII.
SUITE DE LA BALLADE.

— Qu’îl est doux, qu’il est doux d’habiter sous l’ombrage des bois ! chantait gaiement la jeune Alix. La hache du lord Richard résonne sur les rameaux du hêtre et du chêne antique. —

Le roi des Esprits éleva la voix dans la grotte de la colline ; ses paroles sinistres ressemblaient au gémissement de la bise sous les portiques d’une église en ruines[1].

— Quelle est cette hache qui ose abattre les hêtres et les chênes dont les troncs consacrés forment l’enceinte oà nous célébrons nos rites au clair de la lune ?

Qui vient ici chasser le daim que chérit la reine des fées (l) ? Qui est assez audacieux pour porter la couleur des verts royaumes de la féerie[2] ?

Pars, Urgan, pars, cours vers ce mortel ; car tu fus jadis arrosé de l’onde baptismale : le signe de la croix ne peut te faire fuir ; tu n’as rien à craindre des mots mystérieux.

Appelle sur la tête du téméraire la malédiction qui flétrit le cœur, et qui défend au sommeil de fermer les paupières de celui

  1. Dans une longue dissertation sur les fées, publiée dans les Chants populaires des frontières d’Ecosse, et dont la portion la plus remarquable a été fournie par mon infatigable ami le docteur John Leyden, on a recueilli un grand nombre de faits qui peuvent jeter du jour sur la croyance populaire qui, encore aujourd’hui, existe à ce sujet en Ecosse. Le docteur Grahame, auteur d’un ouvrage intéressant sur la Scenery du Perthshire, a réuni avec beaucoup de soin les dogmes répandus parmi les Highlanders des environs du lac Katrine : le savant écrivain est porté à attribuer l’origine de cette mythologie au système druidique, opinion qui rencontre plusieurs objections.
    Les Daoine-Shi, ou hommes de paix des Highlanders, sans étre tout-à-fait malveillans, sont considérés comme une race d’êtres bourrus et chagrins, qui, ne possédant qu’une dose médiocre de bonheur, sont supposés envier aux hommes des jouissauces plus complètes, plus substantielles. On croit qu’ils ont pour partage dans leurs retraites souterraines une sorte de bonheur voilé, — un faux éclat, qu’ils échangeraient volontiers contre les joies plus palpables des mortels.
    Ils sont censés habiter autour de certains monticules de gazon, où ils célèbrent leurs fêtes nocturnes à la clarté de la lune. Il y a, environ un mille au dessus de la source du Forth, au-dessus de Lochcon, un lieu appelé Coirshi’an, ou l’asile des hommes de paix, qu’on suppose être une de leurs résidences favorites. On voit çà et là plusieurs éminences d’une forme conique, l’une d’elles est placée au sommet du lac, et beaucoup d’habitans n’oseraient en approcher après le coucher du soleil. Ils croient que si quelqu’un y vient seul la veille d’une fête, et fait neuf fois le tour d’un de ces monticules, une porte s’ouvrira à sa main gauche (SINISTRORSUM), pour l’admettre dans ces asiles souterrains. Plusieurs mortels, disent-ils, ont visité ces secrètes demeures ; ils ont été reçus dans de somptueux appartemens, où on leur a offert des mets excellens et des vins délicieux. Ils ont vu des femmes surpassant en beauté les filles des hommes. Les habitans de ces lieux, heureux en apparence, passent le temps au milieu des fêtes et dansent aux sons des plus doux accords. Mais malheur au mortel qui se mêle à leurs joies, et qui ose partager leur festin ! par cette imprudence il est séparé pour toujours de la société des hommes, et il se trouve lié irrévocablement au sort des Shi’ich.
    Une tradition des Highlands rapporte qu’une femme conduite jadis dans les retraites des hommes de paix, y fut reconnue par un être qui avait été un simple mortel, mais qui était devenu, par malheur, l’associé des Shi’ichs. Conservant encore quelque bienveillance pour l’espèce humaine, il avertit la nouvelle arrivée du danger qu’elle courait, et lui conseilla, si elle chérissait sa liberté, de s’abstenir de boire et de manger avec eux durant un certain temps. Elle suivit cet avis, et lorsque le délai fixé fut écoulé, elle se retrouva sur la terre. On ajoute que lorsqu’elle examina les viandes qu’on lui avait présentées, et dont l’aspect lui avait paru si succulent, il se trouva, maintenant que le charme était dissipé, qu’elles se composaient du résidu le plus vil de la terre.
  2. Comme les hommes de paix avaient des habits verts, ils étaient très irrités quand un mortel portait leur couleur favorite.