Page:Scribe - Œuvres complètes, éd. Dentu, vol. 65.pdf/258

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MANON.

Tais-toi ! ne prononce pas ce mot, il me fait peur.

MARGUERITE.

Le moyen de ne pas en avoir peur, c’est de faire comme moi, de prendre une aiguille. On gagne peu, mais on est sa maîtresse à soi el l’on n’a besoin de personne.

MANON.

C’est possible ! Toi, Marguerite, tu es née ouvrière, moi, j’étais née duchesse ! L’éclat, le luxe, l’opulence, c’est là mon élément ; il me semble que je suis faite pour le salin, les dentelles, les diamants ! Et tiens, l’autre jour, en montant dans ce beau carrosse… je n’ai été ni surprise, ni gênée ; il me semblait que j’étais chez moi !

MARGUERITE.

Mais avec ces idées-là, tu me fais trembler.

MANON.

En quoi donc ?…

MARGUERITE.

Parce qu’elles amènent après elles les regrets, les remords… on brille un instant, et on est malheureuse toute sa vie.

MANON.

Ah ! je n’aime pas que l’on me parle ainsi.

MARGUERITE.

Et moi je ne parle ainsi qu’à ceux que j’aime…

MANON.

D’amitié… car tu n’as jamais aimé d’amour.

MARGUERITE.

Qu’en sais-tu ?

MANON, gaiement.

Tu aurais un amoureux ?