Page:Scribe - Bertrand et Raton, ou l'Art de conspirer, 1850.djvu/10

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RANTZAU.

Non, pas encore !… J’ai à lui parler. (À Éric, pendant que Raton sort par la porte du fond.) Attendez, là, (il lui montre la coulisse à gauche.) dans cette galerie, vous saurez sur-le-champ la réponse du comte.

ÉRIC, s’inclinant.

Oui, monseigneur.


Scène IX.

RANTZAU ; FALKENSKIELD, sortant de la porte à droite.
FALKENSKIELD, entrant en rêvant.

Struensée a tort ! il est trop haut maintenant pour avoir rien à craindre, et il peut tout oser. (Apercevant Rantzau.) Ah ! c’est vous, mon cher collègue ; voilà de l’exactitude !

RANTZAU.

Contre mon ordinaire… car j’assiste rarement au conseil.

FALKENSKIELD.

Et nous nous en plaignons.

RANTZAU.

Que voulez-vous ! à mon âge…

FALKENSKIELD.

C’est celui de l’ambition, et vous n’en avez pas assez.

RANTZAU.

Tant d’autres en ont pour moi !… De quoi s’agit-il aujourd’hui ?

FALKENSKIELD.

La reine présidera le conseil, et l’on s’occupera d’un sujet assez délicat. Il règne dans ce moment un laisser-aller, une licence.

RANTZAU.

À la cour ?

FALKENSKIELD.

Non, à la ville. Chacun parle tout haut sur la reine, sur le premier ministre. Moi, je serais pour des moyens forts et énergiques. Struensée a peur ; il craint des troubles, des soulèvements, qui ne peuvent exister ; et en attendant, l’audace redouble : il circule des chansons, des pamphets, des caricatures.

RANTZAU.

Il me semble cependant qu’attaquer la reine est un crime de lèse-majesté, et dans ce cas-là la loi vous donne des pouvoirs.

FALKENSKIELD.

Dont il faut user. Vous avez raison.

RANTZAU.

Mon Dieu ! un bon exemple, et tout le monde se taira. Vous avez entre autres un mécontent, un bavard, homme de tête et d’esprit, et d’autant plus dangereux, que c’est l’oracle de son quartier.

FALKENSKIELD.

Et qui donc ?

RANTZAU.

On me l’a cité ; mais je me brouille avec les noms. Un marchand de soieries… au Soleil-d'Or.

FALKENSKIELD.

Raton Burkenstaff ?

RANTZAU.

C’est cela même !… Après cela, est-ce vrai ? je n’en sais rien, ce n’est pas moi qui l’ai entendu.

FALKENSKIELD.

N’importe, les renseignements qu’on vous a donnés ne sont que trop exacts ; et je ne sais pas pourquoi ma fille prend toujours chez lui toutes ses étoffes.

RANTZAU, vivement.

Bien entendu qu’il ne faudrait lui faire aucun mal… un ou deux jours de prison.

FALKENSKIELD.

Mettons en huit.

RANTZAU, froidement.

Comme vous voudrez.

FALKENSKIELD.

C’est une bonne idée.

RANTZAU.

Qui vient de vous ; et je ne veux pas auprès de la reine vous en ôter l’honneur.

FALKENSKIELD.

Je vous en remercie, cela terminera tout. Un service à vous demander.

RANTZAU.

Parlez.

FALKENSKIELD.

Le neveu du comte de Gœlher, notre collègue, va épouser ma fille, et je le propose aujourd’hui pour une place assez belle qui lui donnera entrée au conseil. J’espère que de votre part sa nomination ne souffrira aucune difficulté.

RANTZAU.

Et comment pourrait-il y en avoir ?

FALKENSKIELD.

On pourrait objecter qu’il est bien jeune.

RANTZAU.

C’est un mérite à présent… c’est la jeunesse qui règne, et la reine ne peut lui faire un crime d’un tort qu’elle-même aura si longtemps encore à se reprocher.

FALKENSKIELD.

Ce mot seul la décidera ; et l’on a bien raison de dire que le comte Bertrand de Rantzau est l’homme d’état le plus aimable, le plus conciliant, le plus désintéressé.

RANTZAU, tirant un papier.

J’ai une petite demande à vous faire, une lieutenance qu’il me faut.

FALKENSKIELD.

Je l’accorde à l’instant.

RANTZAU, lui montrant le papier.

Voyez auparavant.

FALKENSKIELD, passant gauche[1].

N’importe pour qui, dès que vous le recom-

  1. Falkenskield, Rantzau.