Page:Scribe - Bertrand et Raton, ou l'Art de conspirer, 1850.djvu/17

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mon fils… mais je les veux… (Serrant son fils dans ses bras.) Ça m’appartient, c’est mon bien, et on ne me l’ôtera pas !


Scène V.

MARTHE, JEAN, ÉRIC.
JEAN, avec joie et regardant la cantonade.

C’est ça ! à merveille !… continuez comme ça.

ÉRIC.

Eh quoi ! déjà de retour !… est-ce que mon père est chez Michelson ?

JEAN, avec joie.

Mieux que cela.

MARTHE, avec impatience.

Enfin il est en sûreté ?

JEAN, d’un air de triomphe.

Il a été arrêté.

MARTHE.

Ciel !

JEAN.

Ne vous effrayez pas ! ça va bien, ça prend une bonne tournure.

ÉRIC, avec colère.

T’expliqueras-tu ?

JEAN.

Je traversais avec lui la rue de Stralsund, quand nous rencontrons deux soldats aux gardes qui nous examinent… nous suivent… puis s’adressant à votre père : Maître Burkenstaff, lui dit l’un d’eux, en ôtant son chapeau, au nom de son excellence le comte Struensée, je vous invite à nous suivre ; il désire vous parler.

ÉRIC.

Eh bien ?

JEAN.

Voyant un air si doux et si honnête, votre père répond : Messieurs, je suis prêt à vous accompagner : et tout cela s’était passé si tranquillement que personne dans la rue ne s’en était aperçu ; mais moi, pas si bête… je me mets à crier de toutes mes forces : À moi ! au secours ! on arrête mon maître… Raton Burkenstaff… à moi les amis !

ÉRIC.

Imprudent !

JEAN.

Pas du tout ; car j’avais aperçu un groupe d’ouvriers qui se rendaient à l’ouvrage : ils accourent à ma voix ; en les voyant courir, les femmes et les enfants font comme eux, on ne peut plus passer, les voitures s’arrêtent, les marchands sont sur les pas de leurs portes et les bourgeois se mettent aux fenêtres. Pendant ce temps, les ouvriers avaient entouré les deux soldats aux gardes, délivré votre père, et l’emmenaient en triomphe suivi de la foule qui grossissait toujours ; mais en passant rue d’Altona, où sont nos ateliers, ça a été un bien autre tapage !… le bruit s’était déjà répandu qu’on avait voulu assassiner notre bourgeois, qu’il y avait eu un combat acharné avec les troupes ; toute la fabrique s’était soulevée et le quartier aussi, et ils marchent au palais en criant : Vive Burkenstaff ! qu’on nous le rende !

ÉRIC.

Quelle folie !

MARTHE.

Et quel malheur !

ÉRIC.

D’une affaire qui n’était rien, faire une affaire sérieuse qui va compromettre mon père et justifier les mesures qu’on prenait contre lui.

JEAN.

Mais du tout… n’ayez donc pas peur… il n’y a plus rien à craindre ! ça a gagné les autres quartiers. On casse déjà les réverbères et les croisées des hôtels… ça va bien, c’est amusant. On ne fait de mal à personne ; mais tous les gens de la cour que l’on rencontre, on leur jette de la boue à eux et à leur voiture ! ça approprie les rues… et tenez… tenez… entendez-vous ces cris ?… voyez-vous ce beau carrosse arrêté près de notre boutique et qu’on essaie de renverser ?

ÉRIC.

Qu’ai-je vu ? les armes du comte de Falkenskield !… Dieu ! si c’était…

(Il s’élance dans la rue.)



Scène VI.

JEAN, MARTHE.
MARTHE, voulant retenir Éric.

Mon fils ! mon fils ! S’il allait s’exposer !…

JEAN.

Laissez-le donc… lui !… le fils de notre maître… il ne risque rien, il ne court aucun danger… que d’être porté en triomphe, s’il veut ! (Regardant au fond.) Voyez-vous d’ici comme il parle aux messieurs qui entourent la voiture ? des jeunes gens de la rue, je les connais tous… ils s’en vont… ils s’éloignent.

MARTHE.

À la bonne heure !… Mais mon mari… je veux savoir ce qu’il devient… je cours le rejoindre.

JEAN, voulant l’empêcher de sortir.

Y pensez-vous ?

MARTHE, le repoussant et s’élançant dans la rue à droite.

Laisse-moi, te dis-je, je le veux… je le veux.

JEAN.

Impossible de la retenir. (Appelant à gauche dans la rue.) Monsieur Éric !… monsieur Éric !… (Regardant.) Tiens, qu’est-ce qu’il fait donc là ?… il aide à descendre de la voiture une jeune dame, qui est bien belle, ma foi, et bien élégante. Eh ! mais, est-ce qu’elle serait