C’est bien heureux !… voilà la première fois que cet imbécile-là m’a compris !
Alors cela devient très délicat.
Sans doute. (Montrant la liste.) Il va là des gens de distinction, des gens de naissance. Les condamnerez-vous de confiance et sur parole, parcequ’il a plu à messieurs Herman et Christian de faire une confidence à monsieur Koller… confidence, du reste, fort bien placée… Mais enfin, et monsieur le baron, qui connaît les lois, vous dira comme moi, que là (avec intention.) où il n’y a point commencement d’exécution, il n’y a pas de coupable.
C’est juste !
Eh bien !… laissons-leur exécuter leur complot. Que rien ne transpire, colonel, de l’aveu que vous venez de nous faire ; que rien ne soit changé à ce repas, qu’il ait toujours lieu ; que des soldats soient cachés dans l’hôtel, dont les portes resteront ouvertes.
Et allons donc !… on a bien de la peine à lui faire arriver une idée.
Et dès qu’un des conjurés se présentera, qu’on le laisse entrer, et qu’un instant après l’on s’en empare. Sa présence chez moi à une pareille heure, les armes dont il sera muni, seront, j’espère, des preuves irrécusables.
À la bonne heure !
Je comprends votre idée… mais maintenant que nous les tenons, si par malheur ils ne venaient pas… ?
C’est qu’on aura trompé le colonel ; c’est qu’il n’y avait ni conjuration, ni conjurés.
Laissez donc !
(Il va à la table à gauche et écrit pendant que Koller remonte le théâtre et se tient au milieu un peu au fond[2].)
Et il n’y en aura pas ; faisons prévenir la reine-mère qu’ils aient à rester chez eux. Encore une conspiration tombée dans l’eau ! (Regardant Koller.) C’est lui qui les trahit, et c’est moi qui les sauve ! (Haut.) Adieu, messieurs, je retourne près de Struensée.
(À Goelher.) Cet ordre au gouverneur… (À Rantzau.) Vous nous revenez… je l’espère ?
Je le crois bien ; je ne peux plus maintenant dîner ailleurs que chez vous, j’y suis engagé d’honneur ; je vais seulement rendre compte à son excellence de la belle conduite du colonel Koller ; car enfin, si ces braves gens-là ne sont pas arrêtés, ce n’est pas sa faute… il aura fait tout ce qu’il fallait pour cela, et on lui doit une récompense.
Qu’il aura.
S’il y a une justice sur terre… je m’en chargerais plutôt.
Monsieur le comte quels remerciements… !
Oui, vous m’en devriez peut-être, mais je vous en dispense.
Maudit homme ! on ne sait jamais s’il est pour ou contre vous. (Saluant.) Messieurs…
Je vous suis, colonel. (À Falkenskield.) Cet ordre au gouverneur, et je cours raconter à la reine ce que nous avons décidé et ce que nous avons fait.
Scène VI.
Tous ces gens-là sont faibles, irrésolus ; et si on n’avait pas de l’énergie pour eux, si on ne les menait pas… ce comte de Rantzau surtout, ne voyant de coupables nulle part, et n’osant condamner personne ; flottant, indécis, bon homme du reste ; qui nous cédera volontiers sa place dès qu’il nous la faudra pour mon gendre… et ce ne sera pas long.
Scène VII.
Descendez-vous au salon, mon père ?
Oui, dans l’instant.
À la bonne heure ; car vos convives vont arriver ; et quand vous me laissez seule pour faire les honneurs, c’est si pénible ! aujourd’hui sur-tout, où je ne me sens pas bien.