Page:Scribe - Bertrand et Raton, ou l'Art de conspirer, 1850.djvu/26

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RANTZAU.

Et pourquoi ne pas nous avoir fait part plus tôt de vos lumières à ce sujet ?

KOLLER.

Je n’ai de certitude que d’aujourd’hui, et je m’étais empressé d’accourir. J’attendais la fin du conseil pour parler au comte Struensée ; mais, puisque vous voilà, messeigneurs…

FALKENSKIELD.

C’est bien… nous sommes prêts à vous entendre.

CHRISTINE, qui était au fond avec Gœlher ; a redescendu le théâtre de quelques pas.

Je me retire, mon père.

FALKENSKIELD.

Oui, pour quelques instants.

CHRISTINE.

Messieurs.

(Elle leur fait la révérence, sort par la porte à gauche ; Gœlher la reconduit par la main jusque là, et, se dispose à sortir par le fond.)

Scène V.

KOLLER, GŒLHER, FALKENSKIELD, RANTZAU.
FALKENSKIELD, à Gœlher qui veut se retirer.

Restez, mon cher ; comme secrétaire du conseil, vous avez droit d’assister à cette séance.

RANTZAU, gravement.

Où vos talents et votre expérience nous seront d’un grand secours. (À part et regardant Koller.) Notre homme a l’air assez embarrassé ; en tout cas, veillons sur lui et tâchons qu’il se tire de là sans compromettre ni la reine-mère, ni des amis qui plus tard peuvent servir.

(Pendant cet aparté, Gœlher et Falkenskield ont pris des chaises et se sont assis à droite du théâtre.)
FALKENSKIELD.

Parlez, colonel… donnez-nous toujours les renseignements qui sont en votre pouvoir et que plus tard nous communiquerons au conseil.

(Koller est debout à gauche, puis Gœlher ; Falkenskield et Rantzau sont assis à droite.)
KOLLER, cherchant ses phrases.

Depuis long-temps ; messieurs, je soupçonnais contre la reine Mathilde et les membres de la régence un complot que plusieurs indices me faisaient pressentir, mais dont je ne pouvais obtenir aucune preuve réelle. Pour y parvenir, j’ai tâché de gagner la confiance de quelques uns des principaux chefs ; je me suis plaint, j’ai fait le mécontent, je leur ai laissé voir que je n’étais pas éloigné de conspirer ; je leur ai même proposé de le faire.

GŒLHER.

C’est ce qui s’appelle de l’adresse.

RANTZAU, froidement

Oui, ça peut s’appeler comme cela… si on veut.

KOLLER, à Falkenskield.

Ma ruse a obtenu le succès que je désirais, car ce matin on est venu me proposer d’entrer dans un complot qui aura lieu ce soir même… pendant le dîner que vous devez donner aux ministres, vos collègues.

GŒLHER.

Voyez-vous cela !…

KOLLER.

Les conjurés doivent s’introduire dans l’hôtel, sous divers déguisements, et, pénétrant dans la salle à manger, s’emparer de tout ce qu’ils y trouveront.

FALKENSKIELD.

Est-il possible ?

GŒLHER.

Même de ceux qui ne sont pas ministres ?… quelle horreur !… (À Rantzau.) Et vous ne frémissez point !…

RANTZAU, froidement.

Pas encore. (À Koller.) Êtes-vous bien sûr, colonel, de ce que vous nous dites là ?

KOLLER.

J’en suis sûr… c’est-à-dire… je suis sûr qu’on me l’a proposé… et je m’empressais de vous en prévenir.

RANTZAU, cherchant à l’aider.

C’est bien… mais vous ne connaissez pas les gens qui vous ont fait cette proposition ?

KOLLER.

Si vraiment. Ce sont Herman et Christian, ceux-là même que l’on vient d’arrêter… et qui ne manqueront pas de s’en défendre… ou de m’accuser… mais, par bonheur… j’ai là des preuves ; cette liste écrite… sous leur dictée.

FALKENSKIELD, la prenant vivement.

La liste des conjurés.

(Il la parcourt.)
RANTZAU, avec compassion et à part.

D’honnêtes conspirateurs sans doute… pauvres gens !… Fiez-vous donc à des lâches comme celui-là… qui au premier danger vous livrent pour se sauver.

FALKENSKIELD, lui remettant la liste

Tenez. Eh bien ! qu’en dites-vous ?

RANTZAU.

Je dis que je ne vois dans tout cela rien encore de bien positif. Tout le monde peut faire une liste de conjurés ; cela ne prouve pas qu’il y ait conspiration ! Il faut en outre un but ; il faut un chef.

FALKENSKIELD.

Et ne voyez-vous pas que le chef… c’est la reine-mère, c’est Marie-Julie ?

RANTZAU.

Rien ne le démontre ; et à moins que le colonel. (appuyant.) n’ait des preuves… positives… personnelles…

KOLLER.

Non, monseigneur.