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Page:Scribe - Bertrand et Raton, ou l'Art de conspirer, 1850.djvu/29

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ÉRIC.

Qu’importe ! si j’enpêche votre mariage ! Je ne connais que ce moyen, je n’en ai pas d’autre.

CHRISTINE.

Éric !… si j’ai sur vous quelque pouvoir, vous ne repousserez pas ma prière, vous renoncerez à votre projet, vous n’irez pas insulter M. de Gœlher et provoquer un éclat terrible pour vous… et pour moi, monsieur !… oui, c’est ma réputation que je vous confie, que je remets sous la sauvegarde de votre honneur. Ai-je tort d’y compter ?

ÉRIC.

Ah ! que me demandez-vous ?… de vous sacrifier tout… jusqu’à ma vengeance !… et vous seriez à un autre ! et vous appartiendriez à celui que j’aurais épargné !…

CHRISTINE.

Non… je vous le jure !

ÉRIC.

Que dites-vous ?

CHRISTINE.

Que si vous vous rendez à mes prières, je refuserai ce mariage, je resterai libre ; je veux l’être… oui, je vous le jure ici, je n’appartiendrai ni à M. de Gœlher ni à vous.

ÉRIC.

Christine !

CHRISTINE.

Vous connaissez maintenant tout ce qui se passe dans mon cœur ; nous ne nous verrons plus, nous serons séparés ; mais vous saurez du moins que vous n’êtes pas seul à souffrir, et que, ne pouvant être à vous, je ne serai à personne.

ÉRIC, avec joie.

Ah ! je ne puis y croire encore.

CHRISTINE.

Partez maintenant… depuis trop long-temps déjà vous êtes en ces lieux ; n’exposez pas les seuls biens qui me restent, mon honneur, ma réputation ; je n’ai plus que ceux-là, et, s’il fallait les perdre ou les voir compromis… j’aimerais mieux mourir !

ÉRIC.

Et moi, plutôt perdre la vie que de vous exposer au moindre soupçon ; ne craignez rien, je m’éloigne. (Il ouvre la porte à droite par laquelle il est entré.) Ô ciel ! il y a des soldats au bas de cet escalier.

CHRISTINE.

Des soldats !

ÉRIC, montrant la porte du fond.

Mais par ici du moins.

CHRISTINE, le retenant.

Non pas… entendez-vous ce bruit ? (Écoutant près de la porte du fond.) On monte… c’est la voix de mon père… plusieurs voix lui répondent… ils viennent tous… et si l’on vous trouve ici, seul avec moi, je suis perdue !

ÉRIC.

Perdue !… oh non ! je vous en réponds aux dépens de mes jours ! (Montrant la porte à gauche.) Là.

(Il s’y précipite.)
CHRISTINE.

Ô ciel ! mon appartement !

(La porte s’est refermée ; Christine entend monter par la porte du fond, elle s’élance vers la table à gauche, y prend un livre et s’assied.)


Scène X.

CHRISTINE, GŒLHER, FALKENSKIELD ; KOLLER, un peu au fond, avec quelques soldats ; RANTZAU, PLUSIEURS SEIGNEURS ET DAMES ; DES SOLDATS qui restent au fond, en dehors.
FALKENSKIELD.

Cet endroit de l’hôtel est le seul qu’on n’ait pas visité ; ils ne peuvent être qu’ici.

CHRISTINE.

Eh ! mon Dieu, qu’y a-t-il ?

GŒLHER.

Un complot tramé contre nous.

FALKENSKIELD.

Et dont je voulais t’éviter la connaissance ; un homme s’est introduit dans l’hôtel.

GŒLHER.

Les gardes qui étaient postés dans la première cour disent en avoir vu se glisser trois.

RANTZAU.

D’autres disent en avoir vu sept !… de sorte qu’il pourrait bien n’y avoir personne.

FALKENSKIELD.

Il y en avait au moins un et il était armé ; témoin le pistolet qu’il a laissé tomber dans la seconde cour en s’enfuyant ; du reste, et si, comme je le pense, il a cherché asile dans ce pavillon, il n’a pu y pénétrer que par cet escalier dérobé, et je suis étonné que tu ne l’aies pas vu.

CHRISTINE, avec émotion.

Non, vraiment.

FALKENSKIELD.

Ou que du moins tu n’aies rien entendu.

CHRISTINE, dans le plus grand trouble.

Tout-à-l’heure, en effet, et pendant que j’étais à lire, j’ai cru entendre traverser cette pièce ; on se dirigeait vers le salon, et c’est là sans doute.

GŒLHER.

Impossible, nous en venons ; et s’il n’y avait pas des soldats au bas de cet escalier, je croirais qu’il y est encore.

FALKENSKIELD.

Peut-être bien !… voyez, Koller. (Faisant signe à deux soldats, qui ouvrent la porte il droite et disparaissent avec Koller[1].)

RANTZAU, à part, sur le devant du théâtre à droite.

Quelque maladroit, quelque conspirateur en retard qui n’aura pas reçu contre-ordre et qui sera venu seul au rendez-vous !

  1. Christine, Gœlher, Falkenskield, Rantzau.