Page:Scribe - Bertrand et Raton, ou l'Art de conspirer, 1850.djvu/32

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RATON.

Est-il possible ! (À Marthe.) Tu l’entends.

LA REINE.

C’est le moment d’employer votre influence, de vous montrer enfin.

RATON.

Vous croyez !

MARTHE.

Et moi, n’en déplaise à votre majesté, je crois que c’est le moment de rester tranquille ; il n’a déjà été que trop question de lui.

RATON, à voix haute.

Te tairas-tu ! (La reine lui fait signe de se modérer et va regarder au fond si on ne peut les entendre. Pendant ce temps Raton continue à demi-voix en s’adressant à sa femme.) Vouloir nuire à mon avancement, à ma fortune !

MARTHE, à demi-voix, à son mari.

Une jolie fortune ! nos meubles brisés, nos marchandises au pillage, six heures de prison dans une cave !

RATON, hors de lui.

Ma femme ! j’en demande pardon à votre majesté. (À part.) Si j’avais su, je me serais bien gardé de l’amener. (Haut.) Qu’exigez-vous de moi ?

LA REINE.

Que vous unissiez vos efforts aux miens pour sauver notre pays qu’on opprime et le rendre à la liberté !

RATON.

Dieu merci ! on me connaît ; il n’y a rien que je ne fasse pour le pays et pour la liberté.

MARTHE.

Et pour être nommé bourgmestre ; car c’est là ce que tu désires maintenant.

RATON.

Ce que je désire, c’est que vous vous taisiez, ou sinon.

LA REINE, à Raton, pour le modérer.

Silence.

RATON, à demi-voix.

Parlez, madame ; parlez vite !

LA REINE.

Koller, un des nôtres, vous avait instruit de nos projets d’hier ?

RATON.

Du tout.

LA REINE.

Ce n’est pas possible ! et cela m’étonne à un point.

RATON, avec impatience.

Moi aussi… car enfin, et puisque M. Koller est un des nôtres, il me semble que j’étais le premier avec qui l’on devait s’entendre.

LA REINE.

Sur-tout depuis l’arrestation de votre fils.

MARTHE, poussant un cri.

Arrêté ! dites-vous ? mon fils est arrêté !

RATON.

On a osé arrêter mon fils !

LA REINE.

Quoi ! ne le savez-vous pas ?… accusé de conspiration, il y va de ses jours, et voilà pourquoi je vous ai fait venir.

MARTHE, courant à elle[1].

C’est bien différent, et si j’avais su… pardon, madame… pardonnez-moi. (Pleurant.) Mon fils… mon pauvre enfant ! (À Raton, avec chaleur) La reine a raison, il faut le sauver, il faut le délivrer.

RATON.

Certainement ; il faut soulever le quartier, soulever la ville entière.

MARTHE, qui a remonté le théâtre de quelques pas, revient près de lui.

Et vous restez là tranquille ; vous n’êtes pas déjà au milieu de nos amis, de nos voisins, de nos ouvriers, pour les appeler comme hier à la révolte !

LA REINE.

C’est tout ce que je vous demande.

RATON.

J’entends bien, mais encore faut-il délibérer.

MARTHE.

Il faut agir… il faut prendre les armes… courir au palais… qu’on me rende mon fils, qu’on nous le rende ! (Suivant son mari qui recule de quelques pas vers la droite.) Vous n’êtes pas un homme si vous supportez un pareil affront, si vous et les citoyens de cette ville souffrez qu’on enlève un fils à sa mère, qu’on le plonge sans raison dans un cachot, qu’on fasse tomber sa tête ; il y va du salut de tous, il y va de l’honneur du pays et de sa liberté !

RATON.

La liberté… t’y voilà aussi !

MARTHE, hors d’elle-même et sanglotant.

Eh ! oui, sans doute ! la liberté de mon fils, peu m’importe le reste ; je ne vois que celle-là, mais nous l’obtiendrons.

LA REINE.

Elle est entre vos mains ; je vous seconderai de tout mon pouvoir, moi et les amis attachés à ma cause ; mais agissez !… agissez de votre côté pour renverser Struensée.

MARTHE.

Oui, madame, et pour sauver mon fils ; comptez sur notre dévouement.

LA REINE.

Tenez-moi au courant de ce que vous ferez et des progrès de la sédition. (Montrant la porte à gauche.) Et tenez, tenez, par cet escalier secret qui donne sur les jardins vous pouvez, vous et vos amis, communiquer avec moi et recevoir mes ordres. On vient, partez[2].

  1. La Reine, Marthe, Raton.
  2. La Reine remonte le théâtre, Marthe le traverse pour se rapprocher de la porte à gauche. Marthe, Raton, au milieu ; la Reine au fond.