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FALKENSKIELD, donnant à Rantzau le papier que lui a remis Gœlher et s’adressant à Éric.

Telle est décidément votre déclaration ?

ÉRIC.

Oui, j’ai conspiré ; oui, je suis prêt à le signer de mon sang ; vous ne saurez rien de plus.

(Gœlher, Falkenskield et Rantzau semblent à ce mot délibérer tous trois ensemble à droite. Pendant ce temps Christine, qui est à gauche près d’Eric, lui dit à voix basse :)
CHRISTINE.

Vous vous perdez, il y va de vos jours.

ÉRIC, de même.

Qu’importe ? vous ne serez pas compromise, et je vous l’avais juré.

FALKENSKIELD, cessant de causer avec ses collègues et s’adressant à Koller et aux soldats qui sont derrière lui, leur dit en montrant Éric :

Assurez-vous de lui.

ÉRIC.

Marchons !

RANTZAU, à part

Pauvre jeune homme ! (Prenant une prise de tabac.) Tout va bien.

(Des soldats emmènent Éric par la porte du fond ; la toile tombe[1].)


ACTE QUATRIÈME.

L’appartement de la reine-mère dans le palais de Christianborg. Deux portes latérales. Porte secrète à gauche. — À droite, un guéridon couvert d’un riche tapis.

Scène I.

LA REINE, seule, à droite, assise près du guéridon.

Personne ! personne encore ! Je suis d’une inquiétude que chaque instant redouble, et je ne conçois rien à ce billet adressé par une main inconnue. (Lisant.) « Malgré le contre-ordre donné par vous, un des conjurés a été arrêté hier soir dans l’hôtel de Falkenskield. C’est le jeune Éric Burkenstaff. Voyez son père et faites-le agir ; il n’y a pas de temps à perdre. » Éric Burkenstaff arrêté comme conspirateur ! Il était donc des nôtres ! Pourquoi alors Koller ne m’en a-t-il pas prévenue ? Depuis hier je ne l’ai pas vu ; je ne sais pas ce qu’il devient. Pourvu que lui aussi ne soit pas compromis ; lui, le seul ami sur lequel je puisse compter : car je viens de voir le roi ; je lui ai parlé, espérant m’en faire un appui ; mais sa tête est plus faible que jamais : à peine s’il a pu me comprendre ou me reconnaître. Et si ce jeune homme, intimidé par leurs menaces, nomme les chefs de la conspiration, s’il me trahit. Oh ! non ; il a du cœur, du courage. Mais son père ! son père qui ne vient pas et qui maintenant est mon seul espoir ! Je lui ai fait dire de m’apporter les étoffes que je lui avais commandées, et il a dû me comprendre ; car à présent notre sort, nos intérêts sont les mêmes : c’est de notre accord que dépend le succès.

UN HUISSIER DE LA CHAMBRE, entrant.

Messire Raton Burkenstaff, le marchand, demande à présenter des étoffes à votre majesté.

LA REINE, vivement.

Qu’il entre ! qu’il entre !


Scène II.

LA REINE, RATON ; MARTHE, portant des étoffes sous son bras ; L’HUISSIER, qui reste au fond.
RATON.

Tu vois, femme, on ne nous a pas fait faire antichambre un seul instant ; à peine arrivés, aussitôt introduits.

LA REINE.

Venez vite, je vous attendais.

RATON.

Votre majesté est trop bonne ! Vous n’aviez fait demander que moi ; j’ai pris la liberté d’amener ma femme, à qui je n’étais pas fâché de faire voir le palais, et sur-tout la faveur dont votre majesté daigne m’honorer.

LA REINE.

Peu importe, si on peut se fier à elle. (À l’huissier.) Laissez-nous.

(L’huissier sort.)
MARTHE.

Voici quelques échantillons que je soumettrai à votre majesté.

LA REINE.

Il n’est plus question de cela. Vous savez ce qui arrive ?

RATON.

Eh ! non, vraiment ! je ne suis pas sorti de chez moi ; par un hasard que nous ne pouvons comprendre, j’étais sous clef.

MARTHE.

Et il y serait encore sans un avis secret que j’ai reçu.

LA REINE, vivement.

N’importe. Je vous ai fait venir, Burkenstaff, parceque j’ai besoin de vos conseils et de votre appui.

  1. Christine, à gauche et sur le devant de la salle ; Eric au fond, emmené par des soldats ; Koller, Gœlher, Falkenskield, au milieu du théâtre ; Rantzau sur le devant à droite.