Page:Scribe - Bertrand et Raton, ou l'Art de conspirer, 1850.djvu/37

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Scène VIII.

RATON, seul.

Ça ne fera pas mal !… je ne serai pas fâché de savoir ce que j’ai à faire… car tout retombe sur moi, et je ne sais auquel entendre. Maître, où faut-il aller ?… maître, qu’est-ce qu’il faut dire ?… maître, qu’est-ce qu’il faut faire ?… Est-ce que je sais ?… je leur réponds toujours : Attendez !… on ne risque rien d’attendre… il peut arriver des idées… tandis qu’en se pressant.


Scène IX.

JEAN, RATON, MARTHE.
RATON, à Marthe et à Jean qui entrent par la petite porte à gauche.

Eh bien ?

JEAN, tristement.

Cela va mal… tout est tranquille !

MARTHE.

Les rues sont désertes, les boutiques sont fermées, les ouvriers que nous avons envoyés ont eu beau crier : Vive Burkenstaff ! personne n’a répondu !…

RATON.

Personne !… c’est inconcevable !… des gens qui m’adoraient hier !… qui me portaient en triomphe… et aujourd’hui ils restent chez eux !

JEAN.

Et le moyen de sortir ? Il y a des soldats dans toutes les rues.

RATON.

Vraiment !

JEAN.

Les portes de nos ateliers sont gardées par des piquets de cavalerie.

RATON.

Ah ! mon Dieu !

MARTHE.

Et ceux des ouvriers qui ont voulu se montrer ont été arrêtés à l’instant même.

RATON, effrayé.

Voilà qui est bien différent. Écoutez donc, mes enfants, je ne savais pas cela. Je dirai à la reine-mère : Madame, j’en suis bien fâché ; mais à l’impossible nul n’est tenu, et je crois que ce que nous avons de mieux à faire est de retourner chacun chez nous.

MARTHE.

Ce n’est plus possible, notre maison est envahie ; des trabans de la garde y sont casernes ; ils mettent tout au pillage ; et si vous y paraissiez maintenant, il y a ordre de vous saisir et peut-être pire encore.

RATON.

Mais ça n’a pas de nom ! c’est épouvantable ! c’est d’un arbitraire !… Et où nous cacher maintenant ?

MARTHE.

Nous cacher ! quand mon fils est en danger, quand on dit qu’il vient d’être condamné !

RATON.

Est-il possible !

MARTHE.

C’est vous qui l’avez voulu ; et maintenant que nous y sommes, c’est à vous de nous en retirer ; il faut agir : décidez quelque chose.

RATON.

Je ne demande pas mieux, mais quoi ?

JEAN.

Les ouvriers du port, les matelots norwégiens sont en liberté ; ceux-là ne reculeront pas ; et en leur donnant de l’argent.

MARTHE, vivement.

Il a raison !… De l’or ! de l’or ! tout ce que nous avons !

RATON.

Permets donc.

MARTHE.

Vous hésiteriez ?

RATON.

Du tout ; je ne dis pas non, mais je ne dit pas oui.

JEAN.

Et qu’est-ce que vous dites donc ?

RATON.

Je dis qu’il faut attendre.

MARTHE.

Attendre !… et qui vous empêche de prendre un parti ?

JEAN.

Vous êtes le chef du peuple.

RATON, avec colère.

Certainement, je suis le chef ! et on ne me dit rien, on ne me commande rien ; c’est inconcevable !


Scène X.

LES PRÉCÉDENTS, L’HUISSIER.
L’HUISSIER, s’adressant à Raton et lui présentant une lettre sous enveloppe.

À monsieur Raton Burkenstaff, de la part de la reine.

RATON.

De la reine ! c’est bien heureux ! (À l’huissier qui se retire.) Merci, mon ami. Voilà enfin ce que j’attendais pour agir !

MARTHE et JEAN.

Qu’est-ce donc ?

RATON.

Silence ![1] Je ne vous le disais pas, je ne disais rien ; mais c’était convenu, concerté avec la reine ; nous avions notre plan.

MARTHE.

C’est différent.

  1. Il traverse le théâtre et se place à gauche. — Raton, Marthe, Jean.