Page:Scribe - Bertrand et Raton, ou l'Art de conspirer, 1850.djvu/36

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car, s’il se mêle de comprendre, il n’est plus bon à rien !

LA REINE.

Que me reste-t-il alors ?… Entourée d’ennemis ou de pièges ; sans secours, sans appui, menacée dans ma liberté, dans mes jours peut-être, il faut se résigner à son sort et savoir mourir. Mathilde l’emporte… et ma cause est perdue !

RANTZAU, froidement et à demi-voix.

C’est ce qui vous trompe… elle n’a jamais été plus belle.

LA REINE.

Que dites-vous ?

RANTZAU.

Hier, il n’y avait rien à faire, car vous n’aviez pour vous qu’une poignée d’intrigants, et vous conspiriez au hasard et sans but. Aujourd’hui, vous avez pour vous l’opinion publique, les magistrats, le pays tout entier qu’on insulte, qu’on outrage, qu’on veut tyranniser, à qui l’on veut ravir ses droits. Vous les défendez ! et lui, défend les vôtres. Notre roi Christian est dépouillé de son autorité contre toute justice, vous et Éric Burkenstaff êtes condamnés contre toutes les lois ; le peuple se prononce toujours pour les opprimés ; vous l’êtes en ce moment… grâce au ciel ; c’est un avantage qu’il ne faut pas perdre et dont il faut profiter !

LA REINE.

Et comment ? puisque le peuple ne peut me secourir !…

RANTZAU.

Il faut vous en passer ! il faut agir sans lui, certaine, quoi qu’il arrive, de l’avoir pour allié.

LA REINE.

Et si demain Mathilde ou Struensée doivent me faire arrêter, comment les en empêcher ?

RANTZAU, souriant.

En les arrêtant dès ce soir !

LA REINE, effrayée.

Ô ciel ! vous oseriez.

RANTZAU, froidement.

Il ne s’agit pas de moi… mais de vous.

LA REINE, étonnée.

Qu’est-ce à dire ?

RANTZAU.

Un mot d’abord : êtes-vous bien persuadée, comme je le suis moi-même, que dans ce moment il ne vous reste d’autre chance, d’autre alternative que la régence, ou une prison perpétuelle ?

LA REINE.

Je le crois fermement.

RANTZAU.

Avec une telle certitude on peut tout oser : ce qui serait témérité ailleurs devient de la prudence ! (Lentement et montrant la porte à gauche.) Cette porte conduit dans l’appartement du roi ?

LA REINE.

Oui ! je viens de le voir… seul, abandonné de tous, et dans ce moment presque tombé en enfance.

RANTZAU, de même et à demi-voix.

Alors, et puisque vous pouvez encore pénétrer jusqu’à lui, il vous serait facile d’obtenir.

LA REINE.

Sans doute !… mais à quoi bon ? à quoi servira l’ordre d’un roi sans pouvoir ?

RANTZAU, à demi-voix et avec force.

Que nous l’ayons seulement !…

LA REINE, vivement.

Et vous agirez ?…

RANTZAU.

Non pas moi.

LA REINE.

Et qui donc ?

RANTZAU, s’arrêtant.

On frappe.

(Montrant la petite porte à gauche.)
LA REINE, à demi voix.

Qui vient là ?

RATON, en dehors.

Moi, Raton de Burkenstaff.

RANTZAU, à demi-voix, à la reine.

À merveille !… c’est l’homme qu’il vous faut pour exécuter vos ordres, lui et Koller.

LA REINE.

Y pensez-vous ?

RANTZAU.

Il est inutile qu’il me voie ; faites-le attendre ici quelques instants et venez me retrouver.

LA REINE.

Où donc ?

RANTZAU, à demi voix.

Là !

LA REINE.

Dans l’antichambre du roi !

(Rantzau sort par la porte à deux battants, à gauche.)

Scène VII.

RATON, LA REINE.
RATON, entrant mystérieusement.

C’est moi, madame, qui n’ai rien encore à vous annoncer et qui viens à ce sujet consulter votre majesté.

LA REINE, vivement.

C’est bien !… c’est bien !… c’est le ciel qui vous envoie… Attendez ici et n’en sortez pas… attendez les ordres que je vais vous donner et que vous aurez soin d’exécuter à l’instant.

RATON, s’inclinant.

Oui, madame.

(La reine entre dans l’appartement à gauche.)