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piquillo alliaga.

Aïxa le lui rappela.

— Avez-vous fait une bonne chasse, seigneur Augustin ? lui demanda-t-elle.

— Quoi ! ma cousine, lui dit-il d’un air interdit, vous savez…

— Oui, mon cousin, répondit-elle en riant, je sais par la comtesse qu’arrivé hier soir à Valladolid, vous partez demain pour Burgos, et que cela ne vous a pas empêché de suivre aujourd’hui la chasse du roi… c’est là de l’activité ! aussi vous devez être fatigué.

— Un peu, ma cousine.

— Et vous avez peut-être faim ?

— Beaucoup, ma cousine.

— La comtesse a dû vous faire préparer une collation.

— Que j’ai vue en entrant.

— On m’a recommandé de vous en faire les honneurs, dit Aïxa en lui offrant de passer dans l’autre pièce.

— Ma foi, cousine, je vous avouerai sans façon que je ne demande pas mieux !

— Et vous faites bien.

— Oui, dit le roi en lui-même, hâtons-nous ! car si l’autre Augustin arrivait en ce moment…

Et présentant la main à Aïxa, il se disait, en regardant les doigts roses et effilés et le bras rond de la jeune fille :

— Ce seigneur Augustin est bien heureux d’avoir ne cousine pareille !

Aïxa refusa de se mettre à table, comme le roi le lui offrait, mais elle le regardait manger et même lui versait à boire. Sa Majesté n’avait jamais eu de plus joli échanson.

— Vous avez donc suivi le roi, mon cousin ?

— Oui, sans doute, répondit gaiement Sa Majesté en découpant une perdrix ; j’étais avec le roi, je ne l’ai pas quitté.

— Vous avez dû bien vous ennuyer ?

— Ah bah ! dit le roi tout étonné, et laissant tomber sur son assiette l’aile de perdrix qu’il venait d’enlever, m’ennuyer ; pourquoi cela ?

— Parce que le roi ne doit pas être amusant !

— Qui vous le fait croire ?

— D’abord, il est si dévot !

— Il est pieux !… dit le seigneur Augustin en baissant les yeux.

— Comme vous voudrez ! Permettez-moi de vous verser à boire.

Volontiers, ma cousine. Vous n’aimez donc pas le roi ?

— Lequel, mon cousin ?

— Est-ce qu’il y en a deux… en Espagne ?

— À ce que tout le monde dit, du moins, car moi, cela ne me regarde pas !

— Quels sont-ils donc ? dit le monarque un peu déconcerté.

— Eh mais, le duc de Lerma et Philippe III : l’un qui règne, et l’autre qui laisse faire. Beaucoup de gens détestent le premier.

— Et vous méprisez le second, dit le roi en rougissant.

— Mon cousin… je le plains, car on dit qu’il est bon, mais faible…

— C’est donc un grand crime que la faiblesse ? s’écria le roi avec ironie.

— Pas chez les particuliers tels que vous, seigneur Augustin ; mais chez un prince qui devrait faire ses affaires lui-même…

— On dit que son ministre a du talent.

— Celui de s’enrichir !

— Il veut la gloire du pays, dit le roi en suçant une seconde aile de perdreau, il aime l’Espagne !

— Comme vous aimez les perdrix, mon cousin, lui dit-elle. Mais vous ne buvez plus.

Il est de fait que la bonne humeur du roi venait d’éprouver une rude atteinte. Lui qui s’était fait un si doux rêve des plaisirs de l’incognito, venait d’entendre de dures vérités ; et le plus cruel, c’est que la jeune fille avait parlé dans toute la franchise de son âme, et que, sans prévention comme sans haine, n’ayant jamais vu le roi, ne désirant point le voir, elle semblait n’avoir d’autre opinion que l’opinion générale.

Peu à peu cependant il se remit.

Aïxa était si jolie qu’il n’avait pas la force de lui en vouloir. Il était obligé de s’avouer qu’elle avait de l’esprit, et rien qu’en regardant ses yeux noirs pleins de feu, tout lui disait qu’elle avait de la fierté, de la tête et du caractère.

Les idées du père Jérôme, celles du duc d’Uzède lui revinrent à l’esprit, et tout en buvant coup sur coup et par distraction deux verres de vin de la Fronteira, il ne put s’empêcher de faire en lui-même le raisonnement suivant :

— Par saint Jacques, s’il est dans ma destinée d’être gouverné, il vaudrait mieux l’être par une jeune fille comme celle-ci, que par un vieux ministre comme le mien.

Étonnée du silence que gardait le roi et de l’expression singulière avec laquelle il la regardait en ce moment, Aïxa lui dit :

— Qu’avez-vous donc, seigneur Augustin ?

— Ma cousine, répondit le seigneur Augustin d’un air distrait, et cependant en suivant toujours son idée, êtes-vous mariée ?

— Ah ! mon Dieu, se dit Aïxa en elle-même, c’est peut-être un prétendu, et s’il vient avec des vues sur la main de Carmen, je ne peux pas usurper plus longtemps sa place ! — Non, mon cousin, dit-elle en balbutiant, je ne suis pas mariée. Et vous ?

— Moi, je le suis ! dit le roi en poussant un soupir.

Rassurée par cette déclaration, Aïxa reprit toute sa franchise et son enjouement.

— Vous vous êtes marié bien jeune, mon cousin ?

— Hélas ! oui.

— Comment, hélas !… est-ce que vous n’êtes pas heureux ?

— Moi, heureux ! se dit le roi avec un accent de profonde conviction, je ne l’ai jamais été.

— Est-ce que votre femme n’est pas jeune… jolie et aimable ?

— Si vraiment… mais elle ne m’aime pas !

— Ce n’est pas possible… vous avez l’air si bon !

— Il paraît que ce n’est pas une raison… au contraire !… moi, d’abord, personne ne m’aime.

Il prononça ces derniers mots avec un sentiment de