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piquillo alliaga.

douleur si vrai et si profond qu’Aïxa en fut touchée. Dès qu’on souffrait, on ne lui était plus indifférent, et le malheur, peur elle, était presque l’amitié !

Elle jeta sur le pauvre roi un regard de compassion et d’intérêt si tendre, qu’il en fut ému jusqu’au fond du cœur.

— Quel dommage, mon cousin, lui dit-elle, que vous partiez demain pour Burgos !

— C’est vrai, dit le roi, qui l’avait oublié, je pars pour Burgos.

— Sans cela, vous seriez venu nous voir ; et ici, en famille, parmi vos cousines, on aurait tâché de vous distraire, de vous égayer… et peut-être de vous consoler… Moi, d’abord, j’y aurais fait mon possible, continua-t-elle avec un sourire gracieux et caressant auquel on ne pouvait résister ; et peut-être y aurais-je réussi ; car, après tout, nos chagrins ne sont bien souvent que ce que nous les faisons, et les vôtres ne sont peut-être pas aussi terribles que vous le pensez.

— Ah ! si vous les connaissiez ! dit le roi… j’en ai de toutes sortes !

— Dans votre fortune ?

— Non, je suis riche, très-riche même.

— Dans votre ambition… vous voulez parvenir ?

— Non, j’ai une bonne place, très-bonne.

— Dans votre santé ?

— Je me porte à merveille, malgré tous les médecins que j’ai.

— Et je viens de voir, ajouta Aïxa en riant, que vous soupez à merveille ! Qu’avez-vous donc, mon cousin ?

— Je m’ennuie !

— Qu’est-ce que je vous disais ? comme le roi !… Vous voyez bien que ça se gagne !

— Oui, je m’ennuie mortellement, et toujours… excepté aujourd’hui, ma cousine !

Et l’air ému dont il la regardait prouvait que ce n’était point là une vaine galanterie.

— Il faut vaincre ce mal-là, mon cousin, car on dit qu’on en meurt.

— Je le sens bien ! et il n’y aurait qu’un moyen… un seul que l’on m’a conseillé, et je crois qu’on a eu raison.

— Eh bien ! ce moyen, il faut l’employer, et le plus tôt possible…

— Ma volonté ne me suffit pas !

— Qu’est-ce donc ? dites-le-moi, de grâce, mon cousin !

À cette question, faite si naïvement et avec tant de candeur, le roi demeura interdit et troublé. Pour rien au monde maintenant, il n’eût pu dire ce que le duc d’Uzède et le père Jérôme lui avaient conseillé.

— Voyez-vous, ma cousine, s’écria-t-il en balbutiant, il y a dans ma vie un rêve, un bonheur que je poursuis et que je ne puis obtenir… une idée sans laquelle je ne pourrais vivre… une idée trop ambitieuse, sans doute…

— Parlez au roi, puisque vous êtes si bien avec lui !

— Cela ne dépend pas du roi, il ne peut rien.

— J’entends ! comme je vous le disais tout à l’heure, cela dépend du ministre, et vous êtes mal avec lui.

— Du tout. Nous sommes très-bien ensemble.

— Cela dépend donc du grand inquisiteur Sandoval, qui a la haute main ? et si vous n’êtes pas de ses amis…

— Il est des miens et ne me refuse rien.

— Est-il possible ! fit Aïxa en poussant un cri de joie et de surprise.

— Qu’avez vous donc ? dit le roi en voyant l’émotion et le plaisir qui rayonnaient dans ses yeux.

— Le grand inquisiteur ne vous refuse rien ! s’écria-t-elle.

— Non vraiment.

Entre toutes ses bonnes qualités, Aïxa en avait une : c’était de ne jamais oublier ses amis, de s’en occuper sans cesse et en tous lieux ; de profiter de toutes les occasions de leur être utile ou même de faire naître ces occasions. Elle venait de penser au pauvre Piquillo, arrêté, prisonnier, gémissant dans les prisons de l’inquisition, et elle oublia les chagrins chimériques du seigneur Augustin, pour venir en aide au malheur véritable.

— Mon cousin, dit-elle en prenant un de ses plus séduisants sourires, puisque vous prétendez avoir tant de crédit… et je n’en doute pas, j’aurais un service à vous demander.

— Parlez ! parlez ! dit le roi au comble de la joie.

— En tant, cependant, que cela ne pourra ni vous exposer, ni vous compromettre.

— Plût au ciel !… s’écria le prince avec une chaleur dont il ne fut pas le maître ; puis, craignant de s’être trahi, il reprit avec plus de calme : Je serais si heureux, ma cousine, de reconnaître votre bon accueil et l’hospitalité que vous venez de me donner ! je vous écoute.

— Eh bien, dit Aïxa, il y a un ancien serviteur de la maison d’Aguilar…

— Oui… oui, dit le roi, Juan d’Aguilar, votre père et le frère de la comtesse d’Altamira… Eh bien ! cet ancien serviteur…

— Que l’on nomme Piquillo d’Alliaga, a été, dit-on, jeté dernièrement dans les prisons de l’inquisition.

— C’est grave, dit le roi.

— C’est-à-dire, on n’en est pas sûr… on n’en sait rien… parce que les cachots de l’inquisition sont bien sombres, et nul ne sait ce qui s’y passe…

— Je le saurai… je vous dirai s’il y est renfermé.

— C’est tout ce que je vous demande.

— Vous vous y intéressez donc beaucoup, ma cousine ?

— Infiniment.

— Et s’il est prouvé qu’il est prisonnier de l’inquisition. que ferez-vous ?

— Je tâcherai d’obtenir sa liberté… par la protection de quelques amis. J’en chercherai du moins.

— Eh bien… et moi, dit le roi avec une bonhomie qui n’était pas sans charmes, ne suis-je pas là, ma cousine ?

— Ah ! c’est trop de bonté.

— Je n’ai pas beaucoup de crédit… mais enfin… j’en ai autant que d’autres… et je vous promets que je l’emploierai à faire délivrer Piquillo d’Alliaga, votre protégé.

Il écrivit ce nom sur des tablettes qu’il tira de sa poche.

Et Aïxa, touchée jusqu’au fond du cœur de ces offres d’amitié si simples, si franches et si loyales, devint naturellement et par reconnaissance aussi expan-