Page:Scribe - Piquillo Alliaga, ou Les Maures sous Philippe III, 1857.djvu/179

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
173
piquillo alliaga.

dans leurs rangs, ils repassèrent par la pièce où le curé les avait laissés et qui occupait le bâtiment du milieu. Ils s’élancèrent de là dans la cour, et au moment où ils entraient, ils aperçurent le curé arrivant avec ses néophytes, les cinq juifs convertis malgré eux et chrétiens de fraiche date.

— Les voici, dit le curé d’un air triomphant, je vous les livre.

— Bien, dit Pedralvi, qui avait hâte de sortir, et qui gagnait à grands pas la poterne.

— Où allez-vous ? dit le curé.

— Rejoindre monseigneur qui nous attend.

— Il n’est donc plus dans la tourelle ?

— Non, dit Pedralvi, à qui tout était indifférent, pourvu qu’il fût dehors. Monseigneur vient de se rendre au presbytère, vous abandonnant le prisonnier, pour que vous ayez sur-le-champ à en faire bonne et prompte justice.

— Bien, fit le curé, je vais avec vous prendre les ordres de monseigneur.

— Ses ordres sont que vous vous occupiez d’abord du prisonnier, et que vous veniez après lui rendre compte de ce qui se sera passé.

— J’obéis, dit le curé, et ferai de mon mieux… Puis il cria à un des frères qui traversait la cour : Dites au frère rédempteur Acalpuco de descendre sur-le-champ, nous avons besoin de lui. Seigneur archer, dit-il à Pedralvi en faisant signe d’ouvrir la poterne, je vous rejoins dans l’instant au presbytère, vous et monseigneur… le temps d’exécuter ses ordres… Nous ferons coups doubles, s’il le faut, pour le satisfaire et lui être agréable.

La poterne s’était ouverte : Pedralvi, ses compagnons et les néophytes défilaient un par un, feignant de se diriger vers le presbytère et prêts à descendre la montagne dès qu’ils seraient hors de vue. En ce moment le curé, en se retournant, aperçut Acalpuco qui venait à lui.

— Ah ! c’est toi, s’écria-t-il, viens, suis-moi.

— Où allons-nous, monsieur le curé ?

— À la tourelle, où le prisonnier nous attend…

— Pauvre jeune homme ! dit le frère en lui-même.

— As-tu ta discipline ?

— Toujours, monsieur le curé.

— Où en étions-nous hier ?… à la quarantaine, je crois ?

— Oui… oui… monsieur le curé, dit le frère en hésitant.

— Alors, et puisque monseigneur l’exige, nous ferons mieux que cela aujourd’hui.

— Ô ciel !

Dix de plus !

— Permettez, monsieur le curé…

— Paresseux !… tu réclames…

— Pas pour moi ?

— Qu’est-ce que c’est ? dit le curé, en le regardant d’un air sévère ; ne t’ai-je pas dit que monseigneur l’ordonnait et le voulait ?

— C’est différent, dit le frère effrayé.

C’est dans cette disposition d’esprit que le frère et le curé se rendirent dans la tourelle.

Quelques jours après, des bruits sourds et dont on ne pouvait au juste apprécier la valeur, circulaient à Tolède, à Valence et même à Madrid.

Le patriarche d’Antioche, l’archevêque de Valence, le saint et révéré Ribeira, retenu par une grave indisposition, était malade au milieu des montagnes, dans un misérable village, où quelque bonne œuvre sans doute l’avait conduit. Il n’y avait pas le moindre doute là-dessus ; mais ce qui en offrait beaucoup, c’était la nature de sa maladie. Le curé Romero, dans le presbytère duquel le saint prélat était alité, avait raconté aux médecins accourus en toute hâte, que Sa Seigneurie avait glissé le long d’un précipice, où des pointes de rochers l’avaient cruellement déchirée ; heureux encore que le pieux archevêque en fût quitte à ce prix ; et malgré la défense du prélat, le chapitre de Valence avait absolument voulu célébrer un Te Deum en actions de grâce de cette heureuse aventure. D’un autre côté, les ordres les plus sévères avaient été donnés au corrégidor mayor de la province de Tolède, Josué Calzado, de poursuivre dans toutes les directions une escouade de faux alguazils qui parcourait les grands chemins. Le corrégidor avait d’abord repoussé avec mépris une pareille assertion, tant il était sûr de la manière dont se faisait la police, mais il fut bientôt forcé de croire à cette nouvelle, lorsqu’on eut saisi plusieurs soldats de la Sainte-Hermandad complétement étrangers à cette milice, et qui n’étaient autres que les compagnons du capitaine Juan-Baptista.

Arrêtés, ainsi que leur chef, dans une posada, au moment où ils arrêtaient eux-mêmes l’hôtelier, en commençant par saisir les clés de sa cave, ils furent dirigés vers Madrid ; l’ordre avait été donné de les livrer à l’inquisition comme coupables et complices d’attentat impie sur la personne d’un archevêque.

— Par saint Jacques, se disait Juan-Baptista, qui n’y comprenait rien, c’est jouer de malheur ! être arrêté pour le seul crime que, peut-être, je n’aie pas commis !

Il trouvait cette décision si injuste que, dès le second jour, il en avait appelé, en s’échappant des mains de ses gardes, regrettant, non pas ses compagnons qu’on allait brûler ou pendre, mais l’or qu’il avait volé comme alguazil à Piquillo et à Pedralvi, et que d’autres alguazils venaient de lui reprendre. En attendant, rien ne peut donner une idée de la perturbation que cet événement avait jetée dans la police de Tolède et de la Nouvelle-Castille ; c’était à ne plus s’y reconnaître. Impossible de distinguer les vrais des faux alguazils, et chaque jour, par exemple, on voyait en pleine rue deux de ces messieurs se mettre mutuellement la main sur le collet et s’arrêter réciproquement de par le roi. L’emploi n’était plus tenable ; aussi Baptista Balseiro s’était décidé à en changer ; il avait abandonné la police pour l’armée, et portait maintenant l’uniforme de capitaine dans l’infanterie espagnole.

Pedralvi cependant et ses compagnons, sans s’inquiéter de la situation où ils laissaient l’archevêque, avaient évité le presbytère et descendaient de la montagne par un autre sentier que celui qu’ils avaient parcouru le matin ; ils ne se souciaient pas de repasser devant l’hôtellerie d’Aïgador, quoiqu’ils l’eussent pu sans danger, car les archers qu’ils avaient laissés étaient hors d’état de les poursuivre, vu la brièveté, ou